22 juillet 2022
La conclusion d'une convention de compte courant d'associé, qualifiée de convention réglementée, constitue une opération de gestion et peut donc faire l’objet d’une expertise de gestion selon la Cour de cassation.
C’est ce qu’il ressort d’un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 avril 2022 (n° 20-11.850). Celle-ci a rendu cette décision au visa de l’article L223-37 du Code de commerce, prévoyant la faculté pour un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital social, de demander en justice la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société.
En l’espèce, un associé d’une SAS et d’une SARL à assigner ces dernières aux fins qu’il lui soit communiqués certains comptes annuels et documents sociaux, et de voir ordonner une expertise de gestion. Il souhaitait notamment examiner le compte courant d'associé du dirigeant de ces deux sociétés, en connaître le montant, retracer son évolution et être informé sur l'utilisation qui en a été faite au regard de l'objet social.
Le dirigeant et les deux sociétés font donc grief à l'arrêt d’accéder à la demande de l’associé et soutiennent que la conclusion d'une convention de compte courant d'associé ne constituerait pas une opération de gestion.
La Cour rejette le pourvoi et qualifie pour la première fois la convention de compte courant de convention réglementée. Et à cet égard, elle constitue bien une opération de gestion, au sens de l'article L. 223-37 du code de commerce et peut donc faire l’objet d’une expertise de gestion.
En effet, il est connu que les opérations constituant des conventions réglementées peuvent faire l’objet d’une expertise de gestion et ce, même si elles ont déjà été approuvées par l’assemblée générale (Cass. com. 9 février 1999 n° 96-17.581), alors même que l’associé auteur de la demande se serait abstenu de participer à l'assemblée et n'aurait exercé aucun recours contre les décisions collectives (Cass. com. 5 mai 2009 n° 08-15.) ou aurait approuvé la convention en assemblée générale (CA Paris 20 mai 1998, 14e ch. A, Laurent c/ Sté Mico.).
Il est donc intéressant de comprendre le raisonnement de la Cour de cassation ayant abouti à cette décision.
Les conventions règlementées sont des conventions conclues entre la société et certains de ses dirigeants ou actionnaires ainsi que celles conclues par la société avec une entreprise ayant des dirigeants communs. Elles sont régies par les articles L. 223-19 et suivants du Code de commerce pour les SARL, L.225-38, L.225-86, L.22-10-2 et L.22-10-29 pour les sociétés anonymes, L.226-10 pour les sociétés en commandite par actions et L.227-10 pour les sociétés par actions simplifiées.
Il s’agit d’une catégorie de conventions, n’étant ni interdites ni courantes. Cela signifie que la société est autorisée à conclure de telles conventions, sans pour autant qu’elles puissent être qualifiées d’habituelles. A cet égard, elles nécessitent l’accord préalable d’un organe compétent de la société tel que le conseil d’administration ou encore l’assemblée des associés.
Les conventions réglementées sont donc encadrées par la loi pour éviter les conflits d’intérêts.
Le législateur vise les principales personnes concernées par ces conventions et celles-ci sont relativement nombreuses. On peut citer par exemple le gérant de SARL associé ou non, le président de SAS ou autre dirigeant, le directeur général d’une SA ou l’un des directeurs généraux délégués, un administrateur et même un associé quelconque de SARL.
Le champ de la réglementation est ainsi très vaste et couvre un nombre important de conventions.
Mais avant tout, pour être qualifiées de conventions réglementées, il est nécessaire de caractériser un engagement générant un risque pour la société, notamment d’appauvrissement dans la plupart des cas, mais il peut également s’agir de tout type de risque juridique au sens large.
Ainsi, l’ouverture d’un compte courant au profit d’un associé, qui plus est dirigeant, génère forcément un risque d’appauvrissement pour la société.
En effet, dès lors que la société va attribuer à un de ses associés un avantage par le biais d’un compte courant, qu’il soit rémunéré ou non, il doit entrer dans la procédure de contrôle des conventions réglementées.
Ceci se justifie par le caractère inhabituel de l’octroi d’un tel avantage par la société. Le caractère habituel ou courant d'une convention doit ainsi s'apprécier par rapport à la société concernée. Les tribunaux se réfèrent à la conformité de la convention par rapport à l'objet social (CA Paris 4 juin 2003 n° 02-4255) et ils vérifient que l'opération est de même nature que d'autres autrefois effectuées par la société (Cass. Com. 21 avril 1977 n°75-12.918).
Par conséquent, une telle avance en compte courant, qui n'est ni fréquente ni habituelle, ne saurait être considérée, en principe, comme une opération courante. Dès lors, ces avances demeurent soumises à la procédure des conventions réglementées.
De fait, dès lors qu’un associé a investi une certaine somme au titre d’une avance en compte courant dans une société, que celle-ci n’établit aucune comptabilité, et que les agissements de son gérant ne sont pas clairs, il est alors légitime de s’inquiéter du sort de son investissement et de solliciter une expertise de gestion afin de connaître de l’utilisation qui a été faite de ce compte courant, au regard de l’objet social.
La solution retenue par la Cour de cassation de part ce raisonnement est intéressante.
Par ailleurs, cette solution bien que prise pour une SARL, semble transposable, en raison de textes applicables identiques, aux sociétés par actions.
Cela étant, au regard des faits de l’espèce, il ne peut être certain qu’il s’agisse d’une décision de principe.
Alexandra SIX