Le droit des affaires face aux compétences des tribunaux : tribunal judiciaire au tribunal de commerce ?

28 février 2025

La décision du 15 janvier 2025 n°22-24.016 de la Cour de cassation opère un rappel des principes afin de faciliter la distinction des compétences entre le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce pour les litiges en droit des affaires.

Ce litige opposait MW à la société T. et portait sur des prestations de conseil en agronomie. La société T., avant d'aborder le fond de l'affaire, avait contesté la compétence du tribunal judiciaire arguant que le litige relevait du tribunal de commerce en raison de son caractère commercial. La Cour de cassation a cassé la décision rendue par la cour d'appel de Poitiers qui avait accueilli cette exception d'incompétence.

Cette décision illustre un enjeu central en droit procédural français : la délimitation des compétences entre le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce et réaffirme plusieurs principes fondamentaux.

Le tribunal judiciaire est une juridiction de droit commun

Elle est compétente pour tous les litiges civils et commerciaux qui ne sont pas expressément attribués à une autre juridiction par la loi. Il reprend les attributions des anciens tribunaux d'instance et de grande instance. Parmi ces domaines exclusifs figurent principalement pour résumer : les litiges civils généraux, les matières agricoles, les professions libérales et artisanales.

En l'espèce, MW fournissait des prestations intellectuelles en tant qu'ingénieur agronome, une activité qui n'est pas présumée commerciale par nature. Cela justifiait initialement la saisine du tribunal judiciaire.

Le tribunal de commerce est une juridiction d'exception

Le tribunal de commerce est compétent dans trois grandes catégories définies par l'article L 721-3 du code de commerce :

- Les litiges relatifs aux actes de commerce entre toutes personnes

- Les différends entre commerçants, établissements financiers ou sociétés commerciales

- Les contentieux liés aux entreprises en difficulté (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire).  

Cependant le tribunal de commerce est incompétent pour les activités civiles comme l'agriculture ou les professions libérales même lorsqu'elles sont exercées dans un cadre commercial.

En cas de doute sur la nature commerciale d'une activité comme dans cette affaire il revient au juge d'apprécier les faits pour déterminer si l'activité relève ou non du tribunal de commerce

Dans le litige soumis à la Cour de cassation, la société T. a tenté de qualifier les prestations fournies par MW d'actes commerciaux afin d'écarter la compétence du tribunal judiciaire au profit du tribunal de commerce.

La Cour d'appel avait retenu cette argumentation sans examiner suffisamment les éléments factuels permettant de qualifier juridiquement l'activité litigieuse.

La Cour de cassation a censuré cette analyse, rappelant que l'activité d'un ingénieur agronome indépendant ne constituait pas un acte commercial par nature et que seule une preuve contraire pourrait justifier la compétence du tribunal de commerce.

Pour démontrer que son activité d'ingénieur agronome était une activité commerciale, il devait démontrait que les prestations effectuées aller au-delà de simples conseils techniques et s'inscrivaient dans une démarche de nature commerciale. Ce point n'a pas été évoqué par la cour d'appel.

Cette décision réaffirme plusieurs principes fondamentaux :

- Primauté du tribunal judiciaire en cas de doute : lorsqu'une activité n'est pas clairement commerciale, le litige relève par défaut du tribunal judiciaire

- Exigences strictes pour qualifier une activité commerciale : la simple relation contractuelle avec une société commerciale ne suffit pas à conférer la compétence du tribunal de commerce

- Protection des parties non commerçantes : cette décision protège des prestataires exerçant des activités civiles ou intellectuels contre une requalification abusive en actes commerciaux

Cet arrêt a le mérite de clarifier les frontières entre les deux juridictions. Il rappelle que le caractère commercial d'un acte ou d'une activité doit être démontré avec rigueur afin d'écarter la compétence naturelle du tribunal judiciaire.

Dans une décision du 20 décembre 2023, la Cour de cassation avait déjà clarifié la compétence ou non du tribunal de commerce pour les dirigeants de sociétés. 

Dans cette affaire un ancien PDG de SA avait intenté une action devant le tribunal judiciaire pour réclamer la liquidation de ses droits à la retraite. 

La société a contesté la compétence du tribunal judiciaire arguant que les litiges relevaient de la compléter du tribunal de commerce en raison de son lien avec la gestion de la société. 

La Cour de cassation a confirmé l'arrêt de la cour d'appel qui avait reconnu la compétence exclusive du tribunal de commerce. 

Elle a jugé que les contestations relatives aux sociétés commerciales y compris celles impliquant un dirigeant ou mandataire social relevaient par principe du tribunal de commerce conformément à l'article L721 –3 du code de commerce. Ce principe s'applique même si le dirigeant n'est pas personnellement commerçant

Contrairement à certaines situations ou des tiers peuvent choisir entre plusieurs juridictions, les dirigeants sociaux sont soumis à la compétence exclusive du tribunal de commerce lorsqu'ils agissent dans le cadre de leurs fonctions. À défaut, le tribunal judiciaire sera effectivement compétent.

Avant d'initier une procédure il est important de reprendre ces distinctions pour ne pas commettre d'erreur de saisine de juridiction.

Alexandra SIX

Avocat

Médiateur inscrit auprès de la Cour d’Appel

https://alexandra-six-médiateur.fr


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