07 septembre 2017
Liquidation judiciaire et dirigeant-caution : la Cour de cassation élargit le périmètre de la responsabilité de la banque
Il n’est pas rare que le dirigeant d’une société se porte caution des concours bancaires consentis. La société est susceptible de se retrouver en difficulté et faire l’objet d’une procédure collective. Lorsque la liquidation judiciaire est prononcée, la banque va pouvoir agir à l’encontre du dirigeant caution. Toutefois, en cas de manquement de la banque à ses obligations, le dirigeant-caution a la possibilité d’intenter une action en responsabilité. Sur quel fondement ?
Le droit des entreprises en difficulté semblait être l’unique solution. En effet, l’article L. 650-1 du Code de commerce permet au débiteur de rechercher la responsabilité du créancier pour soutien abusif, sous réserve de satisfaire des conditions strictes.
Désormais, la Cour de cassation, par un arrêt du 12 juillet 2017 , admet que le dirigeant-caution puisse agir en responsabilité à l’égard de la banque pour défaut de mise en garde de la caution, en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de ne pas avoir souscrit le cautionnement, en écartant l’application des disposition de l’article L 650-1 du Code de commerce. La Cour de cassation en profite également pour rappeler que la qualité de dirigeant ne signifie pas nécessairement caution avertie.
En l’espèce, une banque avait consenti un prêt de 81 000 euros à une société, garanti par un cautionnement souscrit par la gérance de cette société, dans la limite de 48 600 euros et pour une durée de neuf ans. Quelques mois plus tard, la même banque avait consenti à la société une facilité de caisse d’un montant de 8 400 euros, en garantie de laquelle la gérance s’est également rendue caution, dans la limite de cette seule somme et pour une durée de vingt-quatre mois. La société ayant été mise en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire, la banque, après avoir déclaré ses créances, avait assigné en paiement la caution, laquelle avait recherché la responsabilité de l’établissement bancaire sur le fondement du défaut de mise en garde.
La cour d’appel avait condamné la banque à payer à la caution la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts. La banque avait formé alors un pouvoir en cassation contre l’arrêt d’appel en invoquant l’article L. 650-1 du Code de commerce.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en écartant l’application de l’article L. 650-1 du Code de commerce.
1/ D’une responsabilité limitée de la banque : article L. 650-1 du Code de commerce…
L’article L. 650-1 du Code de commerce a été rédigé dans un souci de protection du créancier contre le risque que sa responsabilité soit engagée pour soutien abusif.
En effet, le texte pose un principe de non-responsabilité du créancier du fait des concours consentis, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire du débiteur.
Pour autant, cette irresponsabilité du fournisseur de concours n’est pas absolue puisque le dispositif prévoit des exceptions au principe : la fraude, l’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur et la prise de garanties disproportionnées par rapport aux concours consentis.
Ce texte permet au créancier d’empêcher que sa responsabilité soit retenue dans l’hypothèse de l’octroi d’un concours fautif, sauf les cas expressément visés qui sont souvent difficiles à prouver.
Or, depuis un arrêt de la Cour de cassation du 27 mars 2012 , la tendance est d’affirmer que ces exceptions sont des cas de « déchéance » de la protection légale. Autrement dit, des cas d’ouverture de l’action en responsabilité du fait de concours consentis, lesquels ne dispenseraient pas d’apporter la preuve d’une faute dans l’octroi des concours . De sorte que la victime, en l’espèce, la caution, puisse invoquer l’article L. 650-1 du Code de commerce pour engager la responsabilité de la banque.
A défaut de faute, on sort du domaine de l’article L. 650-1 du Code de commerce.
C’est ce que rappelle les juges en considérant que « les dispositions de l’article L. 650-1 du Code de commerce régissent, dans le cas où le débiteur fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidations judiciaires, les conditions dans lesquelles peut être recherchées la responsabilité d’un créancier en vue d’obtenir la réparation des préjudices subis du fait des concours consentis », puis que le prêt consenti « n’est pas nécessairement fautif ».
En précisant que le prêt consenti n’est pas nécessairement fautif, la Cour de cassation affirme de façon implicite qu’il est nécessaire d’apporter la preuve d’une faute dans l’octroi du prêt pour appliquer le dispositif.
Partant, n’est-il pas envisageable pour la caution de fonder sa demande sur d’autres fautes que le créancier aurait commises directement à son égard, non constitutives d’un octroi abusif de crédit au débiteur principal ?
Tout est l’intérêt de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 12 juillet 2017.
2/ … vers une responsabilité élargie : la perte de chance
En écartant l’application dudit article, la Cour de cassation ouvre la possibilité pour la caution de se fonder sur un manquement au devoir de mise en garde pour engager la responsabilité de la banque.
Cela ne veut pas dire que la caution se fonde sur ce manquement pour prétendre que le concours consenti est fautif en lui-même. Puisque l’action intentée par la caution n’entre pas dans le champ de l’article L.650-1 dudit code en raison de la nature du préjudice subi par la caution.
En effet, l’action intentée par la caution tend à obtenir la réparation « d’un préjudice de perte de chance de ne pas souscrire ledit cautionnement ».
Cette solution reprend et précise la position de la Cour de cassation qui a pu, dans un arrêt du 20 octobre 2009 , jugé que « le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s’analyse en la perte d’une chance de ne pas contracter ».
Finalement, la responsabilité qui en résulte ne subit pas l’influence de l’article L. 650-1 obligeant la caution d’établir à la fois un des critères légaux et la méconnaissance par le banquier de son devoir, de sorte que la caution dispose d’un autre moyen d’engager la responsabilité de la banque.
Toutefois, pour invoquer ce fait générateur de responsabilité, encore faut-il que la caution ne soit pas avertie.
3/ La qualité de dirigeant ne signifie pas nécessairement caution avertie
La caution peut bénéficier du devoir de mise en garde , à condition d’être non avertie. Il est fréquent qu’une banque remette en cause le caractère non avertie d’une caution du fait de son implication plus ou moins directe dans les affaires du débiteur principal.
En effet, la caution est souvent considérée comme avertie quand elle est impliquée dans la société débitrice principale, notamment du fait de ses fonctions au sein de la société .
Mais la Cour de cassation, dans l’arrêt en présence, précise que la qualité de caution avertie : « ne saurait résulter de son seul statut de dirigeante de la société quand il n’était pas démontré qu’elle disposait des compétences pour mesurer les enjeux et les risques liés à l’octroi du prêt ainsi que la portée de son engagement de caution, peu important qu’elle eût recours à un cabinet extérieur pour établir des documents prévisionnels ».
La Cour semble stricte sur la notion de caution avertie, toujours dans un souci de protection de celle-ci.
En considérant que la caution peut être indemnisée de la perte de chance de ne pas avoir souscrit le cautionnement, en raison de défaut de mise en garde de la banque et en écartant l’application de l’article L 650 du Code de commerce, la Cour de cassation vient élargir les possibilités, pour le l’ancien dirigeant caution des concours bancaires accordé à la société liquidée, de voir la responsabilité de la banque engagée. Cette évolution favorable au dirigeant-caution est renforcée par l’appréciation protectrice de sa qualité de caution avertie.
Hadrien DEBACKER