04 juin 2020
La rémunération d’un gérant peut être un traitement fixe c’est-à-dire une rémunération d’un montant déterminé à l’avance, qui est versée mensuellement au gérant. Mais, elle peut également prendre la forme d’avantages en nature, primes et autres indemnités.
Dans le cadre d’une SARL, il n’existe pas de dispositions spécifiques pour la rémunération des gérants. Cependant, au visa de l’article L.223-18 du Code de commerce, la Cour de cassation pose le principe selon lequel « la rémunération du gérant d’une SARL est déterminée soit par les statuts, soit par une décision de la collectivité des associés » (Cass. Com., 2012).
Convenir dans les statuts le montant de la rémunération d’un gérant, est très rare en pratique, en raison de son caractère particulièrement contraignant. D’une part, cela présente le désavantage de la rendre publique. D’autre part, si le gérant souhaite modifier le montant il faudra nécessairement passer devant l’assemblée générale extraordinaire et respecter les formalités de publicité.
Ainsi, de manière générale, le montant est décidé par l’assemblée des associés en dehors d’une convention réglementée. Le gérant peut prendre part au vote, s’il est associé, même s’il est majoritaire (Cass.com. 2010). En revanche, la décision des associés ne doit pas être entachée d’abus de majorité.
En effet, l’abus de majorité est prohibé par la loi. L’abus est caractérisé lorsque l’associé majoritaire vote une résolution contraire à l’intérêt social dans le but de nuire au minoritaire.
Par exemple, a été considéré comme constitutif d’un abus de majorité, le fait d’augmenter de manière importante la rémunération du gérant eu égard au faible montant des bénéfices au cours de l’exercice en résultant (Cass. Com. 2019 ).
A contrario, n’est pas considéré comme un abus de majorité, la baisse du bénéfice qui s’accompagne d’une politique d’investissement visant à créer des relais de croissance pour la société (Cass. Com. 2003 ).
Sur ce point, un arrêt récent de la Cour de cassation en date du 15 janvier 2020 est venu affirmer que dans le cadre d’une SARL, une décision de l’assemblée des associés qui venait augmenter significativement la rémunération des cogérants accompagnée d’une réduction importante du résultat comptable et de la suppression des dividendes était prise à contrario de l’intérêt social et était donc constitutive d’un abus de majorité.
En l’espèce, dans le cadre d’une SARL, un des trois co-gérants est décédé. A la suite de cet évènement, les deux gérants décident d’augmenter fortement leur rémunération la portant de 85 000 euros à 150 000 euros. Corolairement, le résultat net comptable était passé de 165 000 euros à 375 euros sans politique d’investissement et la politique habituelle de distribution de dividendes avait été arrêtée (pas moins de 165 000 euros de dividendes pour l’exercice précédent).
Contestant la régularité des rémunérations perçues par le gérant, les héritiers du défunt ont assigné en justice les co-gérants en demandant l’annulation de la décision des associés pour abus de majorité.
La cour d’appel avait rejeté la demande en déclarant que la situation de la société n’avait pas été mise en péril par la décision des associés et qu’une rémunération de 75 000 euros par gérant n’était pas excessive au regard du chiffre d’affaires réalisé. Pour rendre sa décision, la cour d’appel se justifie en expliquant que les gérants devaient assumer les mêmes fonctions à deux et qu’il paraissait normal de tenir compte de l’âge de ces deux gérants qui partaient à la retraite prochainement pour fixer leur rémunération.
La Cour de cassation a censuré la cour d’appel en affirmant que l’augmentation était manifestement excessive au regard de la situation financière de la société puisqu’elle avait eu pour conséquences de dégrader très fortement les résultats de l’entreprise.
La Haute Juridiction vient donc considérer qu’une cette hausse significative de la rémunération des cogérants pouvait être constitutive d’abus de majorité.
Le caractère ou non abusif dépend donc des circonstances de l’espèce.
Il est à noter que l’action en nullité d’une délibération sociale fondée sur un abus de majorité relève de la prescription triennale en vertu de l’article L235-9 du Code de commerce et l’action en réparation du préjudice se prescrit par cinq ans en vertu de l’article 2224 du Code civil. Un associé minoritaire peut donc venir saisir le juge s’il estime que la décision qui a été adoptée par le ou les majoritaires est contraire à l’intérêt social d’une part, et a été prise pour favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité d’autre part.
Alexandra SIX
Avocat Associé