L’ADMINISTRATION PEUT COLLECTER VOS DONNEES SUR LES RESEAUX SOCIAUX : la prudence s’impose !

03 février 2020

Précisons toutefois que ce dispositif prévu à l’article 154 de la Loi de Finances 2020 est expérimental. A ce stade, il est prévu qu’il s’appliquera pour une durée de 3 ans sans que cela ait pourtant défrayé la chronique.
Plus qu’un simple droit de collecte, la loi rend désormais possible l’exploitation, au moyen de traitements informatisés et automatisés, des données exposées publiquement, ainsi que leur conservation.


Qu’il s’agisse d’une photographie postée sur Facebook, Instagram, Twitter… ou d’annonces très (trop ?) régulières publiées sur LeBoncoin, Ebay, ou Vinted, le contribuable n’est désormais plus à l’abri de faire l’objet d’un contrôle de l’Administration sur la base des informations ainsi rendues publiques.


Au travers de ces publications, les administrations fiscale et douanière seront en droit de rechercher ou de mettre en exergue, par exemple, l’exercice d’une activité occulte, des inexactitudes ou omissions relevées en comparaison avec les déclarations, la fabrication, la détention, la vente ou le transport illicite de tabac, certains délits à la réglementation sur les alcools, le tabac et certains métaux précieux.


Dans l’hypothèse où des informations parues publiquement sur les sites en ligne laisseraient penser que le contribuable aurait commis un des manquements spécifiquement visés, les données litigieuses seront alors transmises au service compétent de l’Administration Fiscale et de l’Administration des douanes pour « corroboration et enrichissement » et, le cas échéant, mise en œuvre d’une procédure de contrôle.

En d’autres termes, les administrations concernées seront désormais en capacité d’opposer directement au contribuable les informations ainsi recueillies qui seraient de nature à justifier des rectifications d’ordre fiscal, ou une répression d’infractions douanières.
Un équilibre délicat entre le droit au respect de la vie privée, la liberté d’expression et decommunication, d’une part, et, d’autre part, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale

1. Dans une ère où les données personnelles font l’objet d’une protection toujours plus accrue, on s’étonne de l’apparition d’un tel dispositif légal, qui permet désormais aux administrations fiscales et des douanes de collecter puis conserver, pour un temps, des renseignements obtenus à partir de publications personnelles du contribuable.


Ce nouveau dispositif vise, incontestablement, à apporter aux administrations fiscale et des douanes des nouveaux outils, de nouvelles armes, en vue de détecter les éventuels comportements frauduleux du contribuable.


Il est tout aussi incontestable que ce dispositif tend à porter atteinte à la vie privée du contribuable, ainsi qu’à sa liberté d’expression et de communication sur internet.
Ce dispositif s’inscrit ainsi en un point de choc entre, d’une part, l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales et de sauvegarde de l'ordre public, et les principes à valeur constitutionnelle que constituent le respect de la vie privée, ainsi que la liberté d’expression et de communication ; il vise ainsi à faciliter la poursuite du premier, au détriment de la préservation des seconds.
Bien qu’expérimental, ce dispositif donnera un cadre légal aux administrations pour fonder des contrôles sur des données personnelles, et ainsi porter atteinte gravement à leurs droits et libertés fondamentaux.


2. C’est dans ce cadre que le Conseil Constitutionnel, était saisi préalablement à l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2020.


Après avoir rappelé l’importance du droit au respect de la vie privée et la primordialité de la liberté d’expression et de communication, en tant que pilier de la démocratie, le Conseil constitutionnel précisait que la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel devait impérativement être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à l’objectif poursuivi.


En effet, fidèle au raisonnement habituellement mis en œuvre, destiné à rechercher si l’équilibre entre les principes à valeur constitutionnelle en cause est préservé, le Conseil constitutionnel constatait d'abord que le dispositif envisagé, en ce qu'il permet de collecter de façon indifférenciée d'importants volumes de données relatives à un grand nombre de personnes et d'exploiter ces données, porte effectivement atteinte au droit au respect de la vie privée et à l'exercice de la liberté d'expression et de communication.
Aussi, il relève que le législateur entend renforcer les moyens de contrôle des administrations financières et poursuivre ainsi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.


Eu égard aux droits et libertés en cause, le Conseil constitutionnel s'est attaché à dresser la liste des garanties affichées tendant à montrer le caractère proportionnel de l'outil exorbitant mis dans les mains des administrations et justifiant la validation, in fine, du dispositif législatif .


En d’autres termes, le Conseil constitutionnel décide que le but poursuivi, qu’incarne la lutte que la fraude fiscale, justifie la brèche apparue dans la protection de la vie privée, ainsi que dans la liberté d’expression et de communication.


Les remparts au respect des droits et libertés du contribuable ?


A l’analyse de la décision du Conseil constitutionnel, ce sont les « garanties » présentées en l’état actuel de l’article 154 de la loi de finances pour 2020 qui conduit le Conseil constitutionnel à estimer que le dispositif assure une « conciliation qui n'est pas déséquilibrée » entre, d'une part le droit au respect de la vie privée et l'exercice de la liberté d'expression et de communication, et d'autre part, l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
En premier lieu, la loi exclut l’accès, pour ses administrations, aux données publiées en mode privé ou en mode restreint à un cercle de contacts.
Par suite, il n’est pas envisagé, ni envisageable, à ce stade, de permettre aux Administrations d’utiliser de faux profils ou des pseudonymes en vue de la collecte de telles informations.


Bien heureusement, le droit au respect de la vie privée, ainsi que la liberté d’expression du contribuable, bien qu’entaillés, demeurent en tant que rempart aux pleins pouvoirs de l’Administration.
Par ailleurs, il ressort du texte entré en vigueur que la mise en œuvre de systèmes de reconnaissance faciale est exclue. Sort également du cadre légal du dispositif toute exploitation de données relatives à l'origine raciale ou ethnique ou aux opinions politiques, religieuses ou syndicales.


A cela s’ajoutent des délais de conservation des données.
Loin de nous l’idée de reprendre un listing exhaustif des « garanties » prévues par le texte, il nous paraît plus opportun d’attirer l’attention du lecteur sur les imperfections du texte législatif.


Ainsi, bien des points demeurent dénués de précision et s’inscrivent dans un flou qui pourrait emporter une insécurité juridique.


A titre d’exemple, le texte prévoit que la récolte des données doit se limiter aux données « adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est strictement nécessaire », sans toutefois apporter de détail sur ce qu’il faut entendre/comprendre par « strictement nécessaire ».
L’expérience démontre que, bien souvent, les administrations fiscale et douanière se saisissent de telles imprécisions pour leur réserver une interprétation plus que défavorable au contribuable ; à charge pour ce dernier d’entreprendre une procédure contentieuse et notamment la saisine de la juridiction, dans le cadre d’une procédure longue et couteuse.
Bien sûr, il faudra être vigilant sur les moyens de contrôle du respect, par l’Administration Fiscale et l’Administration douanière, de ces limites législatives.


A ce stade, on s’interroge sur les sanctions applicables en cas non-respect de ces remparts par les Administrations et sur le rôle que joueront les juridictions compétentes.
Nous attendons désormais avec impatience le décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Cnil, auquel renvoie la loi pour définir avec précision (?) le cadre légal d’intervention des administrations, mais surtout ses limites.


La prudence s’impose !

Alexandra SIX et Coraline BONTE

Avocats

 


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