09 juin 2017
Une clause contraire à la libre révocabilité d’un administrateur dans une SA est illicite
Le principe de libre révocabilité de l’administrateur a été clairement établi par le législateur dans le Code de commerce. En effet, l’article L 225-18 alinéa 2 prévoit que les administrateurs « peuvent être révoqués à tout moment par l’assemblée générale ordinaire » et l’article L 225-105 alinéa 3 du Code de commerce dispose « l’assemblée […] peut en toutes circonstances révoquer un ou plusieurs administrateurs ou membres du conseil de surveillance et procéder à leur remplacement ».
L’administrateur d’une société anonyme est révocable ad nutum c’est-à-dire sans préavis, sans indemnisation et sans motif. Il pourra cependant percevoir des dommages et intérêts dans le cas où sa révocation est abusive. Il s’agit notamment d’une révocation ayant un caractère vexatoire, injurieux ou portant atteinte à la réputation de la personne révoquée.
Ces dispositions sont d’ordre public et aucune clause ou stipulation contraire ne peut y déroger. De ce fait, toute clause ou stipulation faisant échec à ce principe sera nulle.
Les juges n’ont pas à contrôler la valeur du motif de la révocation d’un administrateur, seule l’assemblée générale ordinaire dispose de ce droit d’appréciation. Néanmoins, le principe de la contradiction doit être appliqué sinon la révocation sera considérée comme abusive.
La cour d’appel de Paris le 31 mars 2011 (arrêt n° 10/16540 de la chambre 8) avait déjà estimé qu’un dirigeant évoquait en vain la violation d’un pacte d’actionnaires car « aucune disposition contractuelle du pacte n’évoque expressément la révocation d’une des personnes-clés dont fait partie le dirigeant. En tout état de cause, le droit, pour l’assemblée générale, de révoquer à tout moment un administrateur ne saurait être limité par un pacte quelconque entre les actionnaires ».
Quelques années plus tard, le 14 mai 2013, la chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé cette position timidement (arrêt n° 11-22.845) en considérant que les actionnaires n’engagent leur responsabilité personnelle vis-à-vis de l’administrateur révoqué que s’ils ont exercé leur droit de révocation avec une volonté malveillante. Ainsi l’administrateur ne pourra se prévaloir de dommages et intérêts que si les actionnaires ont souhaité délibérément lui nuire. L’arrêt précise que ne constitue pas une volonté de nuire le fait pour les actionnaires de ne pas avoir appliqué un pacte d’actionnaires qui subordonnait la révocation d’un administrateur à l’autorisation préalable du conseil d’administration puisque ce pacte porte atteinte au principe de libre révocabilité des administrateurs.
Concernant les dommages et intérêts, ils ne pourront être alloués à l’administrateur révoqué que si la révocation a été abusive. Il s’agit par exemple du cas où la révocation intervient dans des circonstances de nature à porter atteinte à la réputation ou à l’honneur de l’administrateur révoqué (Com. 6 mai 1974) ou lorsqu’elle a été décidée de façon brutale sans respect du principe de contradiction c’est-à-dire que l’intéressé a eu connaissance des motifs de sa révocation avant que la décision ne soit mise au vote (Cass. Com, 14 mai 2013, n°11-22.845).
Dans un arrêt récent du 26 avril 2017 (arrêt n°15-12.888), la chambre commerciale de la Cour de cassation confirme le principe avec clarté : le principe de la libre révocabilité de l’administrateur est d’ordre public et une clause d’un pacte ne peut y déroger.
En l’espèce, deux sociétés ont fusionné en une société anonyme. Les actionnaires majoritaires de chaque société ont prévu un pacte d’associé dans lequel une clause prévoyait que les actionnaires de chaque société pourront présenter des candidats au poste d’administrateur pour le conseil d’administration et qu’ils seront ainsi représentés de manière équivalente dans la nouvelle société anonyme. La clause stipulait également que chaque actionnaire majoritaire des deux sociétés se verraient respectivement attribuer un mandat de directeur général et de président du conseil d’administration.
Le mandat du directeur général était prévu prendre automatiquement fin si ce dernier était révoqué de son mandat d’administrateur. Ainsi le pacte d’actionnaires faisait implicitement obstacle à la révocation de l’administrateur qui serait actionnaire majoritaire.
En effet, la révocation de l’administrateur répond aux conditions de quorum et de majorité requises pour une assemblée générale ordinaire dans une SA : les actionnaires présents ou représentés doivent représenter au moins le cinquième des actions ayant le droit de vote et les décisions doivent être prises à la majorité des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés.
La cour d’appel de Colmar dans son arrêt du 12 novembre 2014 déboute de sa demande l’actionnaire majoritaire ayant été révoqué de son poste d’administrateur et ayant par conséquence perdu automatiquement son mandat de directeur général. Il se prévaut du fait que les statuts ont été violés et sollicite des dommages intérêts au titre du préjudice subi. La Cour de cassation soutient la décision d’appel au motif que : « est illicite toute stipulation ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la libre révocabilité de l’administrateur d’une société anonyme ».
Le caractère d’ordre public du principe de libre révocabilité de l’administrateur dans une société anonyme est réaffirmé. Aucune clause, disposition ou stipulation contraire ne peut y faire obstacle et si tel est le cas, la nullité lui sera appliquée. Cependant, cette liberté n’est pas absolue. Le législateur a prévu des limites afin d’éviter les dérives d’une révocation portant volontairement atteinte aux intérêts de l’administrateur. Dans ce cas de figure, l’administrateur révoqué pourra prétendre à des dommages et intérêts mais ne pourra pas être réintégré dans le conseil d’administration.
Alexandra SIX
Avocat en droit des affaires et des sociétés