29 juin 2015
L'article L 442-6-I-5e du Code de commerce prévoit qu’engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers:
"de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels …"
Ces dispositions visent uniquement la rupture fautive. Elles ne font pas obstacle à la faculté de résiliation légitime, dans le respect d’une durée de préavis suffisant ou sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Le principe est qu’entre professionnels, la rupture est libre, mais qu’est sanctionnée la rupture brutale et donc fautive, dont la victime est en droit de réclamer l’indemnisation de ses préjudices en tenant compte de critères fixés par la jurisprudence.
I/ Les conditions :
a/ Une relations commerciale établie
Une relation commerciale suivie entre deux professionnels doit exister. La relation est établie si elle présente un caractère suivi, stable et habituel, peu important qu'elle ait été formalisée par un contrat ou non.
Les juridictions évaluent les situations au cas par cas et prennent en compte plusieurs critères afin de déterminer si l’on est en présence d’une relation commerciale établie : la durée, la stabilité, la continuité de la relation commerciale, son intensité, l’évolution du chiffre d’affaires réalisé ou encore la croyance légitime d’une poursuite de cette relation commerciale établie.
b/ L’auteur et la victime de la rupture
Ce fondement juridique s’applique dès lors qu’on est en présence de professionnels ayant la qualité de commerçant au sens du Code de commerce, aussi bien en matière d’achat et de vente de produits, que de prestations de services et ce quel que soit le secteur d’activité.
A titre d’exemple, sont notamment concernées les relations commerciales entre : Fournisseur/ distributeur, prestataire de service, sous-traitant/donneur d’ordre…
L’auteur de la rupture peut être français ou étranger, dès lors que la victime de la rupture brutale est française, le fondement de l’article L 442-6-I-5e du Code de commerce peut s’appliquer et les juridictions françaises sont compétentes.
La Cour de cassation par un arrêt du 20 mai 2014 a décidé qu’une société française victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies par une société néerlandaise peut solliciter l’application de la loi française, car le lieu du dommage résultant de la brutalité de la rupture se situe en France.
La victime par ricochet (Un tiers à la relations commerciale, par exemple un sous-traitant de la victime directe de la rupture brutale des relations commerciales), peut réclamer l’indemnisation des préjudicies subis résultant de la rupture brutale et ce même si l’auteur de la victime ignorait l’existence même du sous-traitant dès lors que ce dernier a subi des préjudices ayant pour origine la rupture brutale.
De sorte que cela peut entrainer des indemnisations en cascade pour tous les opérateurs étant intervenus dans la chaine de production ou de valeur.
Seuls les commerçants au sens du Code de commerce peuvent se prévaloir de ce fondement, toutefois s’agissant d’associations, les juridictions civiles indemnisent les préjudices subis par la victime d’une rupture brutale, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, tout en retenant les modalités de calcul du préjudice résultant de la jurisprudence en matière de rupture brutale de relations commerciales.
c/ Le caractère brutal de la rupture
Seul le caractère « brutal » de la rupture peut donner lieu à une réparation, et non pas le préjudice résultant de la rupture en elle-même.
La rupture, pour être préjudiciable et ouvrir droit à des dommages et intérêts, doit être brutale, selon article L. 442-6 I, 4 du Code de commerce, effectuée sans préavis écrit ou suivant une durée de préavis insuffisante, tenant compte des relations commerciales antérieures de leur intensité ou des usages reconnus par des accords professionnels.
L’auteur de la rupture ne doit pas placer son partenaire économique dans une situation qui ne lui permet pas de disposer d’un temps suffisant pour se réorganiser ou trouver de nouveaux débouchés.
La rupture peut être totale ou partielle (exemple diminution substantielle et brutale des commandes).
La durée du préavis doit être suffisante : la durée du préavis est calculée en prenant en compte l'ancienneté de la relation commerciale et éventuellement la nature des produits ou services concernés, de leur notoriété, des investissements réalisés ou encore de l'importance représentée par le partenaire économique, auteur de la rupture, dans le chiffre d'affaires de l'autre partenaire.
Le respect du seul préavis contractuel ne suffit pas. L'existence d'un délai de préavis contractuel ne dispense pas le Juge d'examiner si ce délai de préavis tient compte de la durée de la relation commerciale et d'autres circonstances au moment de la notification de la rupture (Cass. com. 22 octobre 2013, n°12-28704).
Lorsqu’il s’agit de la fourniture de produits sous marque de distributeur (MDD), la jurisprudence accorde généralement un préavis plus important en cas de déréférencement du fournisseur (CA LYON 8 avril 2010, n°09-01012), notamment en raison généralement d’une situation de dépendance économique et d’une méconnaissance du fournisseur par les consommateurs, entrainant une perte de présence sur le marché.
La jurisprudence s’attache au préavis réellement effectué et non à celui initialement notifié.
II/ Les cas d’exonération de responsabilité dont l’auteur de la rupture peut être fondé à se prévaloir
L’inexécution par la victime de ses obligations, ou un manquement grave exclut la responsabilité de l’auteur de la rupture, qui peut être fondée à rompre la relation commercial sans avoir à respecter de préavis.
Les juridictions devront vérifier si la rupture sans préavis est pleinement justifiée par cette inexécution.
La force majeure, lorsque la rupture sans préavis a pour origine un événement imprévisible, irrésistible et extérieur subi par l’auteur de la rupture.
Dans certaines hypothèses la jurisprudence a pu prendre en considération :
Le contexte économique auquel a pu être confronté l’auteur de la rupture.
Le caractère inadapté ou obsolète de l’offre ou des produits de la victime de la rupture.
III/ L’indemnisation des préjudices résultant de la rupture brutale
La jurisprudence a posé comme principe que seul sont indemnisables les préjudices résultants de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même.
a/ Le préjudice principal : la perte de gain manqué pendant la période de préavis
La Cour d’appel de Paris a rappelé dans un arrêt du 22 janvier 2014 « que le préjudice qui découle d’une rupture brutale de relations commerciales établies est constitué de la perte subie ou du gain dont la victime a été privée ».
L’appréciation de la durée de préavis qui aurait dû être respecté par l’auteur de la rupture dépend en premier lieu de la durée des relations commerciales entre les parties.
L’étude de la jurisprudence en la matière, permet de disposer d’une certaine visibilité sur la durée du préavis qui aurait dû être respecté :
Durée des relations commerciales établies
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Durée de préavis retenu par la jurisprudence |
5 à 6 ans |
6 mois de préavis
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9 ans |
9 mois de préavis
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10 ans
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12 mois |
16 ans
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15 mois de préavis |
18 ans
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2 ans de préavis |
25 ans |
2 ans de préavis
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Pour déterminer le montant du préjudice, la jurisprudence se réfère « à la moyenne des chiffres d'affaires réalisés durant les trois années précédant la rupture »
La Cour de cassation a posé comme principe que le préjudice doit être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance de préavis.
La jurisprudence de manière constante retient comme mode de calcul le taux de marge brute de la victime de la rupture appliqué au chiffre d’affaire moyen des dernières années de relations commerciales entre les parties (généralement les trois dernières années), rapporté à la durée de préavis qui aurait dû être respecté.
Par ailleurs, il arrive fréquemment que la partie victime d'une brusque rupture invoque l'existence d'une situation de dépendance économique pour réclamer des dommages et intérêts complémentaires. Dans ces hypothèses, les magistrats sont amenés à apprécier concurremment l'infraction de rupture abusive des relations commerciales établies avec l'abus de dépendance économique et nombreuses sont les décisions qui s'attachent à ce contexte d'état de dépendance pour mieux marquer le caractère brutal de la rupture.
La Cour de cassation a retenu à ce titre que : « En cas de rupture d’une relation commerciale établie, le préavis s’apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l’état de dépendance économique de l’entreprise évincée, au moment de la notification de la rupture » (Cass com 20 mai 2014, n°13-16398).
Sur cette question de la dépendance économique, il s’agit d’une véritable appréciation au cas par cas par la jurisprudence, notamment en fonction du secteur d’activité et dans certaines situations, il peut être reproché à la victime de s’être mise en état de dépendance économique.
b/ Les préjudices annexes ayant pour origine la rupture brutale
En pratique, les juges accordent parfois à la victime des dommages et intérêts au-delà de la seule perte résultant directement de la brutalité de la rupture.
Selon les circonstances, les tribunaux peuvent ainsi estimer que l'indemnisation de la victime s'étend aux pertes annexes (amortissements, charges d'exploitation, coût des licenciements, fermeture des locaux, pertes de stocks programmés...), ceci afin de tenir compte des coûts dus à la désorganisation de l'activité ou à l'impossibilité de récupérer certains investissements.
Les investissements spécifiques réalisés :
Lorsque la victime de la rupture brutale a réalisé des investissements spécifiques destinés à répondre aux besoins de son partenaire économique, elle peut être fondée à réclamer à titre de dommages et intérêt, la part non amorti de ces investissements.
Le licenciement économique de salarié :
Lorsque la victime de la rupture brutale a été contrainte de procéder à des licenciements économiques ayant pour origine directe la baisse d’activité résultant de la rupture, elle peut être fondée à réclamer à titre de dommages et intérêt, le coût de ces licenciements économiques.
IV/ Les spécificités procédurales en matière de compétence
Les règles de compétence territoriales sont spécifiques en la matière.
En effet seul 8 Tribunaux en France sont spécialement compétents : Bordeaux, Fort de France, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Paris, Rennes.
En appel, seule la Cour d’appel de PARIS est compétente.
Ces compétences territoriales spécifiques, résultent des dispositions de l’article D 442-3 du Code de commerce et de l’annexe 4-2-1.
Dès lors que l’une des demandes formulée par la victime de la rupture brutale, résulte de l’application de l’article L 442-6 du Code de commerce, les règles spécifiques de compétences s’appliquent et font obstacles à toute application d’une clause attributive de compétence fixée contractuellement entre les parties.
La prescription en la matière est de 5 ans à compter de la date de rupture totale ou partielle.
Le cabinet ELOQUENCE a développé une compétence spécifique dans ce domaine et intervient régulièrement avec succès devant les juridictions Lilloises et Parisiennes.
Alexandra SIX et Hadrien DEBACKER, Avocats Lille et Paris
Associés du Cabinet ELOQUENCE