05 juin 2018
Le droit de solliciter une expertise de gestion est très encadré.
Le droit d’information des associés est un droit essentiel.
L’information est indispensable pour l’exercice des droits de l’associé et notamment son droit de vote ; elle doit permettre à chacun de se prononcer en connaissance de cause sur la gestion et sur la marche des affaires de la société.
L’information peut à la fois être permanente (consulter les documents sociaux, poser des questions écrites au dirigeant), périodique (obtenir la documentation en vue de l’assemblée générale annuelle) ou encore exceptionnelle (demander une expertise de gestion).
Lorsqu’une opération menée par la société semble litigieuse ou critiquable, tout associé dispose de la faculté de demander au juge la désignation d’un expert dans les conditions énoncées ci-après.
Encore convient-il d’en exposer les conditions de mise en œuvre :
• Les sociétés concernées par l’expertise de gestion
Prévue par la loi qui en limite le domaine d’application, l’expertise de gestion, dite « de minorité », n’est possible que dans les sociétés anonymes et les sociétés par actions (article L. 225-231 du Code de commerce) ainsi que dans les sociétés à responsabilité limitée (article L. 223-37 du Code de commerce).
• Le critère de détention du capital social
Pour que cette expertise puisse être demandée, les demandeurs doivent détenir, individuellement ou en se groupant, au moins 10 % du capital social pour les SARL (article L. 223-37 du Code de commerce) - 5 % du capital pour les SA et SAS (article L. 225-231 du Code de commerce).
Le critère de détention du capital social doit être apprécié à la date de l’introduction de la demande en justice (Cass. com., 6 décembre 2005, n°04-10287).
• La question écrite comme préalable à l’expertise de gestion
L’expertise de gestion ne peut être demandée qu’après avoir poser par écrit au dirigeant des questions sur l’opération contestée. Autrement dit, les actionnaires d’une société doivent préalablement avoir demandé un éclaircissement sur l’opération de gestion litigieuse (articles L. 225-231 et L. 227-1 du Code de commerce). Ce n’est qu’à défaut de réponse dans le délai d’un mois, ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, que les demandeurs seront en droit d’agir.
Etant précisé que, pour les SARL, la demande d’expertise de gestion n’a pas besoin d’interrogation préalable. L’expertise peut ainsi être ordonnée sans que le gérant n’ait été préalablement interrogé.
• L’objet précis et le caractère restreint de l’expertise de gestion
- Le contrôle ne doit porter que sur une ou plusieurs opérations déterminées. La demande doit être ciblée et ne saurait viser l’ensemble des opérations sociales de la société. Il ne peut jamais s'agir d'un contrôle général et permanent.
Par ailleurs, le caractère sérieux de la demande doit être justifié par un soupçon d’atteinte à l’intérêt social (Cass com. 10 février 1998, n°96-11988) ou par une présomption d’irrégularité de l’opération contestée.
- L’expertise est assez restrictive puisqu’elle ne concerne que les décisions de gestion de la société. Autrement dit, seules les décisions prises par les dirigeants peuvent être contrôlées, à l’exclusion de celles prises par l’assemblée des associés (Cass com. 25 septembre 2012 n°11-18312 à propos d’une augmentation de capital).
L’acte de gestion se détermine ainsi grâce au critère organique : en effet, la nature de l’acte résulte de la nature de l’organe décideur (le gérant dans la SARL ; le directeur général, le conseil d’administration ou le directoire dans la SA). Si ce critère est simple, sa mise en œuvre peut s’avérer parfois délicate.
Au sein des groupes de sociétés, ne sont concernées que les opérations de gestion des filiales de la société dont les demandeurs sont actionnaires. Les actionnaires de la filiale ne peuvent donc pas mettre en œuvre la procédure d'expertise pour les opérations réalisées par la société mère de leur société (Cass. com. 10 septembre 2013 n° 12-16.509) ou par une société sœur.
La Cour de cassation a récemment confirmé cette jurisprudence en jugeant que l’actionnaire d’une filiale qui demande une expertise sur une convention conclue avec sa société mère (convention intragroupe) ne peut agir que contre la filiale et non contre la société mère (Cass. com. 21 mars 2018 n°16-20.879).
En l’espèce, l’actionnaire de la filiale soutenait ne pas avoir obtenu la communication de la convention litigieuse conclue par la filiale avec sa société mère. A défaut de réponse aux questions posées sur l’opération, il avait sollicité en référé l’obtention d’une expertise de gestion. De son côté, la société mère avait sollicité sa mise hors de cause. La décision rendue par la cour d’appel a été censuré par la Cour de cassation au visa de l’article L.225-231 du Code de commerce : cette mise hors de cause est injustifiée puisque seule la société dont la gestion est mise en cause a qualité pour défendre à une demande d'expertise de gestion.
Dans cette hypothèse, la faculté pour les associés d’une filiale de solliciter une expertise de gestion fondée sur les dispositions du Code de commerce (articles L.225-231 et L. 223-37) ne les empêche pas de demander la désignation d’un expert sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile (demande d’instruction « in futurum »).
Ceci étant, les demandeurs de cette expertise dite « préventive » devront justifier d’un motif légitime à l’organisation de cette mesure d’une part (démonstration d’un intérêt à agir dans la perspective d’un éventuel litige avec son adversaire) et d’une certaine urgence (ou d’un péril imminent) d’autre part.
Alexandra SIX
Avocat droit des affaires
Annabelle DEPLANQUE
Stagiaire