13 juillet 2021
La chute de fréquentation des commerces consécutive à la crise sanitaire et les mesures de restriction prises par les autorités, vont entrainer à n’en pas douter une baisse des valeurs locatives des locaux commerciaux et des locaux professionnels.
S’ouvrent donc des opportunités pour les preneurs face à cette situation exceptionnelle d’obtenir une diminution conséquente de leur niveau loyer.
Quels sont les risques encourus pour les bailleurs ? Quels sont les outils juridiques et/ou judiciaires à la disposition des preneurs ? A quel moment du bail les solliciter ? La négociation entre parties au bail est-elle inéluctable ? Un gage durable de la préservation du futur des relations entre preneurs et bailleurs ?
En cas de renouvellement du bail, les choses sont assez simples :
Toutes les conditions juridiques ou matérielles sont réunies pour ceux des preneurs qui sont à l’aube de l’expiration de leur bail ou dont le bail se trouvera être en tacite prolongation, pour solliciter du bailleur, à l’occasion du renouvellement du bail, la fixation du loyer du bail renouvelé à la baisse, à hauteur d’une nouvelle valeur locative. Les clauses de leur bail ne devront cependant pas l’empêcher.
Les circonstances à ce moment du bail sont nettement à l’avantage des preneurs
En cours de bail, les choses se compliquent mais des moyens légaux existent néanmoins :
Les preneurs peuvent demander une révision de leur loyer à la baisse, en cours de bail, au regard du contexte actuel et à l’aube d’une 4 ème vague de restrictions en tout genre.
I- L’ACTION EN REVISION DU LOYER EN VERTU DE L’ARTICLE L 145-39 DU CODE DE COMMERCE
L’action la plus efficace pour les preneurs mais qui obéit à des conditions strictes.
Rappelons que l’article L 145-39 du Code de commerce dispose ainsi :
- « En outre, et par dérogation à l’article L. 145-38, si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire. La variation de loyer qui découle de cette révision ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente. »
- Les preneurs dont le bail comporte une clause d’indexation sont par conséquent recevables à agir en révision de loyer sur ce fondement, à la condition néanmoins de démontrer que leur loyer a varié de plus de 25 % depuis sa dernière fixation amiable ou judiciaire par le seul effet de la clause d’indexation.
Les avantages de cette action sont :
- - aucune autre condition de recevabilité de l’action n’est posée par ce texte
- - prise d’effet rétroactive à la date de la demande en révision.
Mais les variations de loyers de plus de 25 % par le seul effet de la clause d’indexation sont de plus en plus rare depuis quelques années compte tenu du peu de variation des indices contractuels choisis par les parties. Cette dernière condition réduira sensiblement le recours à cet outil.
II- L’ACTION EN RÉVISION POUR IMPRÉVISION (ART L 1195 DU CC)
Cet article 1195 du Code civil dispose que :
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »
C’est la réforme du droit des obligations entrée en vigueur au 1er octobre 2016 qui a introduit dans le Code civil cet article 1195 qui vient consacrer la théorie de l’imprévision.
L’action en révision pour imprévision prévue par ce texte est commune à l’ensemble des contrats et ne relève pas du statut propre aux baux commerciaux mais elle s’y applique.
Elle a une vraie vocation à s’appliquer en matière de bail commercial, contrat à exécution successive de longue durée, au cours duquel les parties peuvent être confrontées à de nombreuses circonstances imprévues, de nature économique ou matérielle nécessitant l’adaptabilité du contrat.
Attention toutefois de veiller à ce que votre bail n’y déroge pas expressément, l’article 1195 du Code civil n’est pas considéré comme étant d’ordre public, de sorte que les parties peuvent librement y déroger par une clause d’exclusion.
La date d’effet du bail ou du renouvellement de bail doit être postérieure au 1er octobre 2016 pour qu’elle s’y applique.
La question largement débattue par les tribunaux est de savoir si la situation vécue depuis la survenance de l’épidémie de COVID 19, constitue un changement de circonstances imprévisibles rendant pour les preneurs l’exécution du contrat de bail excessivement onéreuse.
De toute évidence, la crise sanitaire consécutive à la survenance de l’épidémie COVID 19, au regard de son ampleur inédite en termes de conséquence (confinement de la population, fermeture des commerces, jauge, obligation du port du masque, déshérence de la chalandise…et enfin reconfinement éventuel en septembre prochain….. ), constitue un changement de circonstance imprévisible lors de la conclusion du contrat de bail, à supposer naturellement ce bail conclu ou renouvelé à une date d’effet antérieure à la survenance de la crise sanitaire.
Ce sont les ses conséquences socioéconomiques de la situation d’une ampleur considérable et inédite en France qui sont sans nul doute constitutives d’un changement de circonstances imprévisibles. Ce point est acquis pour les Preneurs.
L’ensemble des conséquences de la crise sanitaire (fermeture des commerces, confinement, mesures sanitaires strictes, port du masque, adaptation des locaux etc.) rendent elles le paiement du loyer excessivement onéreux ? C’est l’autre point à démontrer.
C’est autant un coût supplémentaire, qu’une perte de bénéfice pour les preneurs qui l’illustre.
Mais, le caractère excessivement onéreux du loyer du bail consécutif à la survenance du changement de circonstances imprévisibles ne peut résulter que de la seule période de fermeture administrative : le paiement du loyer devra à mon sens rester une charge excessivement onéreuse pour les preneurs au-delà de la période postérieure au confinement.
C’est à cette condition que les preneurs pourront prospérer sur ce fondement.
Ils devront à l’appui de leur argumentation fournir des pièces comptables pertinentes sur une durée probante, par la production de données de géolocalisations massives permettant de calculer les flux de fréquentation, leur baisse, leur variation…. de manière provisoire mais surtout significative.
A ces conditions, cet outil demeure un atout exploitable pour les preneurs, un risque pour le bailleur, permettant de renégocier le loyer à la baisse ou bien pour obtenir judiciairement la révision de celui-ci à la baisse.
C’est à la date de l’accord des parties ou la date du jugement que le loyer revu sera effectif aux termes de l’utilisation de cet outil juridique.
III - LA RÉVISION TRIENNALE (art L 145-38 du Ccom)
L’article L 145-38 du Code de commerce dispose ainsi :
« La demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé.
De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable.
Par dérogation aux dispositions de l’article L. 145-33, et à moins que ne soit rapportée la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l’indice trimestriel du coût de la construction ou, s’ils sont applicables, de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 112-2 du code monétaire et financier, intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer.
En aucun cas il n’est tenu compte, pour le calcul de la valeur locative, des investissements du preneur ni des plus ou moins-values résultant de sa gestion pendant la durée du bail en cours. »
Rappelons au passage que le mécanisme de la révision triennale est exclu en présence d’un bail prévoyant une clause-recettes, c’est-à-dire une clause fixant le loyer par application d’un pourcentage sur le chiffre d’affaires des Preneurs avec, généralement, un loyer minimum garanti.
Un délai de trois ans doit s’être bel et bien écoulé depuis la date d’effet du bail ou du renouvellement ou bien depuis le jour où un nouveau loyer est entré en vigueur amiablement ou judiciairement, voilà la principale condition de recevabilité d’une demande de révision triennale du loyer.
A celle-ci, il appartient de savoir si la crise sanitaire et économique actuelle découlant de l’épidémie de COVID 19 constitue ou non « une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité » permettant dès lors la baisse significative du loyer à la valeur locative, en-deçà de la variation de l’indice applicable.
De tout évidence nous sommes là avec la crise et ses conséquences en face d’une véritable transformation d’un élément des facteurs locaux la commercialité survenue au cours de la période de référence et ayant un effet sur la commercialité.
Les conséquences des manifestations des gilets jaunes, les grèves dans les transports et les manifestations hebdomadaires en réponse au projet de réforme des retraites et enfin l’interdiction partielle des déplacements et les fermetures administratives successives subies par une grand partie des commerces semblent en effet, constituent une série d’évènements inhabituels dont l’ampleur a entraîné, par fréquence, mais durablement, des baisses importantes successives et brutales de flux de chalands plongeant certains commerces dans un état de cessation de paiements….
Pour certains, les Prêts Garantis par l’Etat (PGE) n’ont fait que masquer une irrémédiable situation de cessation de paiement….
La crise sanitaire est d’une ampleur sans précédent comparable et d’ailleurs comparée à une guerre mondiale, générale et absolue.
L’envergure de cette crise, cause de la modification des facteurs locaux de commercialité, n’empêche cependant pas son ancrage local et ses effets associés au niveau des facteurs locaux de commercialité. Les dits effets seront néanmoins à appréhender différemment sur leur impact sur le plan local, selon l’environnement des commerces touchés, c’est une variable dont il faudra tenir compte.
Cette modification matérielle des facteurs locaux de commercialité doit entrainer la variation à la baisse de plus de 10 % de la valeur locative du commerce des preneurs, telle que cette valeur s’établissait lors de la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer contractuel, la charge de la preuve leur incombant.
La preuve devra en être rapportée dans le temps à l’aune de l’avènement de toutes les conséquences socioéconomiques une fois au mieux toutes les vagues du Covid 19 passées au pire entre chacune de ses vagues si la tempête COVID 19 s’installe….
III- LA RENEGOCIATION SUR LE TERRAIN DE LA BONNE FOI CONTRACTUELLE – Art 1104 du CCiv
L’article 1104 du Code civil ‘ex 1134 du CCic) issu de la réforme du droit des obligations intervenue en 2016, dispose que :
« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. »
Les preneurs ne pouvant se prévaloir de l’un des outils ci avant pourront sur le terrain de la bonne foi contractuelle (exclusive de l’imprévision art 1195 Cciv) tenter de contraindre leur bailleur à la renégociation d’un bail devenu déséquilibré au cours de l’exécution du contrat.
La bonne foi contractuelle n’impose pas au bailleur d’accepter une baisse du loyer mais, a minima, de discuter de celle-ci dans l’intérêt du futur de leurs bonnes relations, le bail s’appréciant, plus que pour les preneurs, pour le bailleur comme un élément de patrimoine et de rentabilité à préserver sur le long terme.
La sanction d’un congé triennal ou en fin de bail des preneurs dans le contexte incertain du commerce traditionnel expose certainement plus le bailleur, la relocation d’un local quel qu’en soit l’emplacement ou la qualité n’obéissant plus aux mêmes règles qu’avant la crise sanitaire.
En conclusion :
Les outils juridiques existent et représentent autant d’atouts pour les preneurs que de risques pour les bailleurs sur le niveau du loyer du bail et la rentabilité de leur investissement. La seule certitude qu’aient les parties au bail en la matière c’est celle de devoir engager une bataille judicaire, le résultat et son intensité étant toujours réservé en la matière. Sans doute qu’encore une fois il faudra choisi entre un mauvais accord qu’un bon procès pour préserver une relation entre parties au bail qui n’a souvent de sens et qui n’est souvent profitable que sur du long terme.
Arnaud BOIX