10 février 2020
La question des droits démembrés est une question qui revient régulièrement en droit des sociétés, notamment lors de conflits entre associés. Comment déterminer les droits de chacun.
Dans une décision récente la Cour de cassation rappelle les principes.
1/ Le démembrement de parts sociales
Le droit de propriété revêt trois composantes que sont l’usus (droit d’utiliser le bien), le fructus (droit d’en percevoir les fruits) et l’abusus (droit de disposer du bien).
En cas de démembrement de propriété, plusieurs personnes possèdent des droits de nature différente sur les mêmes titres.
La loi est venue encadrer les droits démembrés sur les titres de société.
Ainsi, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, réservées à l’usufruitier.
Les statuts d’une société peuvent cependant prévoir des règles différentes.
Toutefois, la jurisprudence est venue sanctionner les clauses statutaires qui excluent la possibilité pour le nu-propriétaire de participer aux décisions collectives.
Dès lors, quelles que soient la répartition des droits de vote, le nu-propriétaire et usufruitier doivent nécessairement être convoqués aux assemblées générales, quand bien même ils ne pourraient pas voter les décisions qui sont portées à l’ordre du jour.
2/ Quand désigner un administrateur provisoire
Les associés peuvent solliciter la désignation d’un administrateur provisoire lorsque survient une crise grave empêchant le fonctionnement de la société.
L’administrateur provisoire intervient pour sauvegarder les intérêts en cause. Le plus souvent, il s’agira des intérêts de la société, mais il peut également s’agir de ceux des associés.
Toutefois, l’administrateur provisoire n’intervient qu’à titre exceptionnel. En effet, pour qu’il soit nommé, le juge exige que les associés, ou la société, rapportent la preuve de circonstances qui rendent impossible le fonctionnement normal de la société et menacent celle-ci d’un péril imminent.
A cette fin, la jurisprudence a reconnu aux administrateurs provisoires des pouvoirs aussi étendus que ceux accordés aux dirigeants sociaux, étant précisé que c’est le juge qui viendra définir la mission confiée à l’administrateur désigné.
A titre d’exemple, un administrateur provisoire peut s’être vu conférer le pouvoir de vendre certains actifs de la société pour assainir la situation financière de celle-ci ou encore celui de convoquer les actionnaires en assemblée générale.
3/ En cas de démembrement de droits sociaux : qui peut solliciter la désignation d’un administrateur provisoire ?
Dans un arrêt du 17 janvier 2019, la Cour de cassation a jugé que le nu-propriétaire indivis de droits sociaux peut agir seul en désignation d’un administrateur provisoire de la société.
Dans cet arrêt, les trois enfants d’un gérant de SCI décédé ont hérité, en indivision, de la nue-propriété des parts de leur père.
N’ayant pas été informés de la tenue d’une assemblée générale qui a statué sur la désignation d’un des nu-propriétaire comme gérant, le nu-propriétaire évincé a demandé en justice la désignation d’un administrateur provisoire.
Les défendeurs soutenaientt que le nu-propriétaire indivisaire n’était pas recevable à agir dans la mesure où son action ne serait pas compatible avec les droits des autres indivisaires.
La Cour d’appel a rejeté cet argument et les parties ont alors porté l’affaire devant la Cour de cassation.
Deux questions ont alors été soumises à la Cour de cassation : d’une part, celle de savoir si le nu-propriétaire est bien fondé à demander la désignation d’un admirateur provisoire et d’autre part, dans le cas où la réponse serait positive, s’il peut le faire seul.
La Haute juridiction est venue répondre dans l’affirmative à ces deux questions.
La Cour de cassation considère en effet – et vient donc renforcer sa jurisprudence bien établie – que le nu-propriétaire de parts sociales ou d’actions revêt la qualité d’associé.
Ainsi, l’associé n’a pas besoin d’avoir la pleine propriété des parts pour se voir reconnaître les droits normalement conférés aux associés de société.
Enfin, puisque l’action portée devant le tribunal concerne l’intérêt social de la société, le nu-propriétaire peut agir seul et ses prétentions ne peuvent être rejetées en l’absence d’action collective des indivisaires.
A ce titre, la désignation d’un administrateur provisoire relève bien d’un droit individuel accordé aux associés.
Alexandra SIX
Avocat