CONFLIT ENTRE ASSOCIES : DISTINCTION ENTRE MANDATAIRE AD HOC ET ADMINISTRATEUR PROVISOIRE

27 juillet 2018

En cas de conflit entre associés, il est souvent envisagé de faire désigner un administrateur provisoire qui remplace les organes de direction et permet autant que faire se peut un fonctionnement normal de la société.
Cela étant il est rare de l’obtenir tant les conditions pour convaincre le juge sont strictes.

Par une décision du 21 juin 2018, la Cour de cassation (Cass. Civ3e. 21 juin 2018. n° 17-13.212), considère que la seule constatation d’une mésentente entre les associés, peu important l’absence de circonstances rendant impossible le fonctionnement de la société et la menaçant d’un péril imminent, permet de faire droit à la demande de désignation d’un mandataire ad hoc.

Dans l’arrêt commenté, une société civile immobilière avait été constituée par deux concubins.
À la suite de leur séparation, l’un d’eux, en désaccord avec l’autre, associé gérant de ladite société, sollicite la désignation d’un mandataire à l’effet de se faire communiquer les livres et documents sociaux sur plus de 10 exercices, établir un rapport indiquant les bénéfices réalisés et les pertes encourues pour chacun des exercices clos, ainsi que de réunir une assemblée appelée à approuver les comptes et se prononcer sur l’affectation des résultats.
La cour d’appel a fait droit à cette demande en s'appuyant sur les règles relatives au droit d'information des associés des sociétés civiles (C. civ., art. 1855 et 1856).
Le défendeur, formant un pourvoi en cassation, entendait dès lors faire valoir qu’aucune circonstance bloquant le fonctionnement de la société et la menaçant d’un péril imminent n’était caractérisée.

La haute juridiction considérant que la cour d'appel avait relevé par « motifs propres et adaptés qu'il existait une mésentente entre les associées », au regard du refus de l'associé gérant de réunir une assemblée générale et de communiquer les comptes sociaux, exclut explicitement la nécessité de caractériser des circonstances entravant le fonctionnement normal de la société et la menaçant d’un péril imminent.
Elle estime alors que la seule constatation d’une mésentente entre les associés permettait de faire droit à la demande de désignation d’un mandataire ad hoc.

La Troisième chambre civile rejoint ici une position adoptée par la Première chambre civile en 2012 (Cass. Civ1re. 17 Octobre 2012. n° 11-23.153), qui avait estimé que la recherche de circonstances entravant le fonctionnement de la société et l’exposant à un péril imminent n’était pas requise lorsque la demande de désignation d’un mandataire ne tend pas à lui conférer un mandat général de gestion de la société.

De plus, la Cour de cassation effectue en l’espèce un distinguo, qu’il est nécessaire de rappeler, entre les conditions de désignation d’un mandataire ad hoc et celles d’un administrateur provisoire.


En effet, alors que l’administrateur provisoire reçoit une mission générale de gestion de la société visant à écarter les dirigeants sociaux de sa direction pour une période limitée, le mandataire ad hoc lui n’a qu’un pouvoir limité se résumant à une mission ponctuelle spécialement confiée, telle que la convocation d’une assemblée générale.


Le mandataire ad hoc au contraire de l’administrateur provisoire n’a donc pas vocation à se substituer aux dirigeants en place, lesquels conservent l’intégralité de leurs prérogatives et pouvoirs. Dans la pratique, il joue souvent le rôle de conciliateur ce qui permet parfois de solutionner en partie le conflit.

Partant de cette distinction fondamentale il en découle naturellement que les conditions de désignation d’un mandataire ad hoc ne sont pas soumises aux mêmes exigences que celles d’un administrateur provisoire.
Les conditions de désignation de ce mandataire sont effectivement moins rigoureuses puisque celle-ci n'est pas subordonnée, comme l'est la nomination de l'administrateur provisoire à l'existence de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d'un péril imminent.

Néanmoins, une telle distinction n’est pas aisée puisque les tribunaux utilisent souvent le terme d'administrateur provisoire pour désigner un mandataire ad hoc.
Ce faisant, il pouvait exister une contradiction quant aux conditions applicables à chacune de ces désignations.

Cet imbroglio a donc fait l’objet d’une réponse par le biais de l’arrêt en présence destiné à une large publication.

La haute juridiction opère ici une fine distinction entre la désignation d’un administrateur provisoire, chargé d’assurer la direction de la société (désignation qui suppose que le fonctionnement normal de la société soit impossible et qu’elle soit menacée d’un péril imminent) et la désignation d’un mandataire ad hoc, chargé d’assurer une mission ponctuelle (en l’occurrence l’organisation d’une assemblée appelée à approuver les comptes et à statuer sur l’affectation du résultat).

Il demeure donc primordial de ne pas confondre les deux notions puisque le régime de désignation diffère selon les cas …

Alexandra SIX
Avocat droit des affaires


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