30 janvier 2018
Les assemblées générales au sein des sociétés cristallisent bien souvent les conflits entre associés et témoignent des intérêts divergents au sein de la société. Si le vote est l’occasion pour les associés de pouvoir s’exprimer, est-il vraiment libre ?
Dans le cadre de ces assemblées générales, les associés votent librement les délibérations qui leur sont soumises ; sous réserve que celui-ci ne puisse être considéré comme un abus de minorité.
Le vote constitue un abus de minorité lorsque l’associé minoritaire a adopté une attitude contraire à l’intérêt général de la société en interdisant une opération essentielle pour celle-ci dans l’unique but de favoriser ses intérêts au détriment des autres associés (notamment Cass. Com. 31.03.2009).
Il faut donc établir des critères cumulatifs pour que l’abus de minorité puisse être constitué et sanctionné :
-que le vote de l’associé minoritaire bloque une décision (ce qui suppose qu’il dispose de la minorité de blocage ou qu’il soit associé égalitaire à 50% ) ;
-que la décision proposée soit considérée comme essentielle pour la société ;
-qu’il agisse dans son intérêt au détriment de l’intérêt des autres associés.
Ainsi par exemple, le fait pour un minoritaire de refuser un projet de collaboration essentiel pour la société ne suffit pas à caractériser un abus ; encore faut-il démontrer que ce refus était motivé dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux des autres associés (Cass. Com 4.12.2012).
Un associé égalitaire de SARL qui refuse d’augmenter la rémunération du dirigeant n’a pas été jugé comme un abus de minorité (Cass.com 31.03.2009).
En revanche, l’associé d’une SARL qui s’oppose à une augmentation de capital ayant pour objet de porter celui-ci au minimum légal, au risque d’entraîner la dissolution de la société, a été juge comme constitutif d’un abus de minorité (Cass. Com 9.03.1993).
Quelle est la sanction en cas d’abus avéré ?
Les juges ne peuvent en principe pas se substituer aux organes sociaux qui sont seuls compétents pour décider d’adopter une décision ou une opération.
Toutefois, dans la mesure où ils doivent remédier à cette situation, dans certains cas, rares en pratiques, il a été admis par les juges du fond que la réparation la plus adéquate d’un tel abus était la validation par le tribunal de l’opération projetée (notamment Ca Paris 25.05.1993 au sujet d’une augmentation de capital). Leur jugement vaut alors adoption de la résolution litigieuse.
Cette solution est critiquée par les juges suprêmes.
Dans une décision récente de la Chambre civile de la Cour de cassation, il a été jugé qu’un abus de minorité n’était pas susceptible d’entraîner la validité d’une résolution adoptée à une majorité insuffisante (Cass.3e civ. 21.12.2017 n°15-627). Dans cette affaire, les indivisaires avaient refusé de désigner un représentant ; les majoritaires ont considéré que cette position était abusive et ont adopté une résolution en s’abstenant du vote des indivisaires.
En effet, quand bien même cette position des indivisaires serait abusive, la décision n’a pas été prise à la majorité requise par les statuts, elle ne peut donc être adoptée en l’état.
Le juge peut également désigner un mandataire aux fins de représenter les associés minoritaires (si l’abus est caractérisé) à une nouvelle assemblée et de voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l’intérêt social mais ne portant pas atteinte à l’intérêt légitime des minoritaires (Cass. Com 5.05.1998).
Le juge ne peut imposer au mandataire désigné le sens de son vote, il lui appartient au vu de la situation de voter au regard des principes exposés.
Dans tous les autres cas où l’abus est constaté, les juges condamnent les défaillants à des dommages-intérêts en vue de réparer le préjudice subi conformément aux règles applicables en matière du droit commun de la responsabilité civile.
Chaque situation doit donc s’étudier en fonction du contexte global (au regard des intérêts de la société et du conflit animant les associés).
Alexandra SIX
Avocat droit des affaires