31 janvier 2019
L’acte de cession de parts ou d’actions comprend très souvent une clause dite « d’earn out » aux termes de laquelle le cessionnaire s’engage à verser au cédant un complément de prix en fonction de différent critères (ex : évolution du chiffre d’affaires, EBE, …).
Dans un cas soumis récemment à la Cour de cassation (Com. 14 novembre 2018) le paiement du complément de prix dépendait d’une décision de justice à intervenir.
En effet, la société mère de la société dont les titres ont été cédés en 2012 a fait l’objet de procédures engagées par l’Autorité de la concurrence.
L’une de ces procédures a abouti à un arrêt de la Cour d’appel de PARIS en date du 20 novembre 2014, lequel a réduit la sanction prononcée par l’Autorité de la concurrence. Les poursuites ont été abandonnées dans la seconde.
Les cédants ont alors assigné la société cessionnaire en paiement des compléments de prix et des intérêts de retard.
La Cour d’appel de PARIS, dans un arrêt du 28 octobre 2016, a rejeté la demande des cédants en paiement du complément de prix.
Les cédants ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
Deux questions étaient ainsi soulevées :
- A quelle date le paiement du complément de prix est-il exigible ?
- Comment interpréter une clause ambiguë faisant référence à une décision de justice définitive ?
Les enjeux de la date d’exigibilité du complément de prix
Outre le paiement du prix, se pose la question de sa date d’imposition.
En principe, en application du droit commun de la vente, le prix de vente d’une cession de titres de sociétés doit être payé dès qu’il est exigible (art. 1650 du Code civil).
Mais les parties au contrat sont libres de prévoir des modalités de règlement variables : paiement à une date déterminée, paiement échelonné, paiement lors de la survenance de tel ou tel évènement (…).
La seule limite à cette liberté contractuelle étant que les modalités ne soient pas déterminées dans l’intérêt exclusif de l’une des parties. A défaut, la clause serait nulle (art. 1304-2 du Code civil).
Nous avions déjà eu l’occasion de préciser à quelle date était imposable le complément de prix d’une cession de droit sociaux : dans un arrêt du 19 janvier 2017, la Cour administrative d’appel de NANTES a jugé que lorsque le complément de prix est, d'une part, indexé directement sur l'activité de la société et, d'autre part, garanti à hauteur d'un montant déterminé, le montant garanti, dont la perception future est certaine dès la conclusion de l'acte de cession, doit être imposé au titre de l'année de cession et non pas, par application de l'article 150-0 A, I-2 du CGI, au titre de l'année au cours de laquelle le cédant l'a perçu.
Dans cette affaire, le protocole de cession de titres prévoyait, outre le prix principal, un complément de prix versé en deux annuités et constitué d’un minimum garanti augmenté, le cas échéant, d’une part variable indexée sur les résultats de l’entreprise.
Le cas soumis récemment à la Cour de cassation a pour objet de déterminer à quelle date ce complément de prix est exigible dès lors qu’il dépendait d’une décision de justice à intervenir.
Selon l’interprétation de la volonté des parties, appréciée souverainement par les juges du fond, le complément de prix n’est exigible qu’à l’issue du contentieux en cours.
Plus précisément, l’acte de cession prévoit le paiement du complément de prix dans les trente jours de la signification d’une « décision de justice définitive ayant autorité et force de la chose jugée » et fixant le montant de l’amende due (le montant du complément de prix devant varié selon que la décision de justice réduise ou augmente cette amende).
En l’espèce, la sanction prononcée par l’Autorité de la concurrence a été réduite par la Cour d’appel mais l’arrêt rendu le 20 novembre 2014 a fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
Pouvait-on considérer que le prix était exigible dès la date du prononcé de cet arrêt ?
Pour répondre à cette question, les juges du fond ont été confrontés à l’interprétation de la clause de complément de prix, ambigüe, subordonnant le paiement à l’intervention d’une « décision de justice définitive ayant autorité et force de la chose jugée ».
Le terme de décision de justice définitive qualifiée de décision de justice irrévocable
Que fallait-il entendre par décision définitive dans le cas précis de l’affaire soumis aux juges ?
Les cédants, souhaitant obtenir le paiement du complément de prix dès le prononcé de l’arrêt de cour d’appel, rappelaient dans leur pourvoi d’une part, la force obligatoire du contrat (ancien art. 1134 du Code civil) et, d’autre part, les dispositions des articles 480 et 481 du Code de procédure civile selon lesquelles :
Art. 480 :
« Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.
Le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4. »
Article 481 :
« Le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu'il tranche.
Toutefois, le juge a le pouvoir de rétracter sa décision en cas d'opposition, de tierce opposition ou de recours en révision.
Il peut également l'interpréter ou la rectifier sous les distinctions établies aux articles 461 à 464. »
Le jugement définitif au sens de ces articles est celui qui tranche une contestation de telle sorte que le tribunal est désormais dessaisi de tout pouvoir de juridiction relativement à cette contestation.
L’on parle de simple autorité de la chose jugée lorsque le jugement est rendu, au jour de son prononcé, de sorte qu’une fin de non-recevoir (irrecevabilité de la demande) pourrait être soulevée si une même demande, entre les même parties, agissant en les mêmes qualités, portant sur le même objet, soutenue par la même cause, était à nouveau portée devant une juridiction (art. 1355 du Code civil, art. 122 du Code de procédure civile).
Les articles soulevés par les cédants évoquent des décisions de justice qui sont donc bien définitives, mais qui peuvent encore faire l’objet d’un recours.
La société cessionnaire quant à elle faisait valoir que la décision de justice définitive ayant autorité et force de la chose jugée devait s’entendre comme une décision devenue irrévocable, supposant que toutes les voies de recours, ordinaires comme extraordinaires, sont épuisées.
Ce faisant, il est fait référence notamment à l’article 500 du Code de procédure civile selon lequel :
« A force de chose jugée le jugement qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution.
Le jugement susceptible d'un tel recours acquiert la même force à l'expiration du délai du recours si ce dernier n'a pas été exercé dans le délai. »
La jurisprudence distingue bien ces deux notions : « La notion de décision "définitive", qui peut être attaquée par une voie de recours, doit être distinguée de celle de décision "irrévocable", qui ne peut plus être remise en cause par l'exercice d'une voie de recours ordinaire ou extraordinaire » (Civ. 2ème 8 juillet 2004 bull. n° 352/ RTD civ. 2004. 775, obs. Perrot; JCP 2004. IV. 2892).
Par une interprétation de la volonté des parties, les juges du fond par la Cour de cassation ont estimé que la décision définitive attendue devait s’entendre d’une décision irrévocable, c’est-à-dire n’étant plus susceptible d’aucun recours au sens de l’article 500 du Code de procédure civile précité.
En l’espèce, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de PARIS le 20 novembre 2014 a été frappé d’un pourvoi de sorte qu’il n’était pas irrévocable.
La Cour de cassation a confirmé l’interprétation souveraine faite par la Cour d’appel :
Mais attendu qu'ayant relevé que l'ajout de la mention « décision de justice définitive » confortait l'intention des parties d'attendre une issue définitive à la procédure de paiement de complément de prix et que la clause relative à la réserve d'ajustement avait été prévue pour corriger les effets de la fixation et du paiement d'un complément de prix avant l'intervention d'une décision irrévocable sur le montant de la sanction, c'est par une interprétation souveraine exclusive de dénaturation, de l'article 3.2.1 du protocole de cession de titres du 12 juillet 2012 que l'ambiguïté de ses termes rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu que l'exigibilité du complément de prix n° 1 était subordonnée à l'intervention d'une décision de justice irrévocable ; que le moyen n'est pas fondé ;
Les cédants doivent donc désormais attendre l’issue de la procédure de cassation, voire, en cas de renvoi devant une Cour d’appel autrement composée, l’issue de cette procédure avant de pouvoir prétendre au paiement du complément de prix.
***
Comme dans toute convention, et d’autant plus en matière de cessions de titres, opérations souvent à forts enjeux, notamment financiers, il convient d’être très précis dans la stipulation des clauses contractuelles. A ce titre, définir les termes ou points sensibles du contrat en préambule de l’acte peut être particulièrement utile.
En l’espèce, les cédants auraient pu préciser qu’ils entendaient le terme décision de justice « définitive » comme celle ayant l’autorité de la chose jugée dès son prononcé, peu importe qu’elle fasse l’objet d’un recours. Ils auraient alors pu prétendre obtenir le paiement du complément de prix dès le prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel du 20 novembre 2014.
Cet arrêt illustre une nouvelle fois la difficulté de rédaction des protocoles aux fins d’en assurer l’efficacité et de se prémunir de tout type de contentieux.
Alexandra SIX, Avocat Associée
Graziella DODE, Avocat