Cession d’entreprise et Garantie de passif : attention aux licenciements prononcés postérieurement à la cession

15 février 2021

Cession d’entreprise et Garantie de passif : attention aux licenciements prononcés postérieurement à la cession

Il est fréquent lors d’une cession de parts ou d’actions d’une société que le cédant s’engage à garantir au cessionnaire « tout passif non comptabilisé et qui se révèlerait postérieurement mais qui aurait une cause ou une origine antérieure à la cession ». 

De sorte que les conséquences de celui-ci serait imputable au cédant selon les modalités prévues dans a la convention de garantie (qui peut évidemment être limitée dans le temps et dans le montant).

La clause de garantie d’actif et de passif ( « GAP ») vise à obliger le vendeur à indemniser l’acquéreur si l’actif diminue, ou si le passif augmente, après la cession, mais pour une cause antérieure à celle-ci. Cette clause, fréquemment inclue dans les actes de cessions de société bien qu’entièrement facultative, permet d’amoindrir les risques pesant sur l’acquéreur, qui se retrouve protégé pour opérer une transmission plus sereine de la société, limitant ainsi les mauvaises surprises. 

Généralement, ce type de clause influence directement la négociation du prix de cession de la société et se négocie âprement.

La rédaction de clause comporte souvent divers éléments comme l’étendue de la garantie : la durée et le champ d’application, le calcul de l’indemnité, son plafond, et notamment les conditions de sa mise en œuvre.

En l’absence de précision contraire dans la rédaction de la garantie de passif convenue, l’antériorité du passif s’effectue à la date du fait générateur de ce passif, c’est-à-dire du fait causant le dommage. Il ne s’agit pas de déterminer sa date d’exigibilité mais la date du fait juridique qui est à l’origine de celui-ci.

L’enjeu de la GAP pour les parties peut donc reposer sur la détermination du fait générateur de ce passif pour ainsi déterminer laquelle d’entre elles doit en supporter les conséquences financières.

Les conflits sont nombreux, notamment en matière de licenciements, puisqu’il est fréquent que postérieurement à la cession un licenciement intervienne. 

L’on peut dès lors s’interroger pour déterminer si la cause de celui-ci ne serait pas antérieure à la cession et donc comprise dans la garantie. Le cessionnaire, nouvel employeur, peut-il considérer que l’indemnité due au titre du licenciement qu’il a lui-même décidé de prononcer puisse être comprise dans la GAP conclue avec le cédant ?

La réalité n’est pas si simple.

Le champ d’application de la clause de garantie d’actif et de passif peut être extrêmement élargi, ou porter sur divers postes du bilan précisément. Par exemple, il est possible de garantir l’hypothétique redressement fiscal visant une opération particulière inscrite dans les comptes de la société par le cédant. 

La Cour de Cassation est d’ores et déjà intervenue pour restreindre le champ d’application en matière de licenciement, dans un arrêt de la Chambre Commerciale du 31 Mars 2009 (N°08/12.702), pour affirmer que si un licenciement est prononcé après la date de cession, les indemnités potentiellement mises à la charge de l’employeur ne seront pas remboursées par le vendeur par le jeu de la GAP. 

Dans cette affaire, un climat de suspicion entretenu par l’ancien employeur avait entrainé la démotivation d’un salarié, engendrant des contre-performances rendant inévitable le licenciement de ce dernier. La Cour de Cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’Appel qui avait considéré que le licenciement trouvait ses causes et origines à une date antérieure à la cession, méconnaissant ainsi la loi des parties. 

La Chambre commerciale a considéré que le passif lié aux condamnations prud’homales demeure à la charge du nouvel employeur, même pour des faits trouvant leur origine avant la cession puisque le fait générateur des condamnations est bien le licenciement lui-même, et non les causes de ce licenciement. 

Depuis, et de jurisprudence constante, les juges considèrent que le fait générateur de l’indemnité versée au salarié, est bien le licenciement.  Ainsi, les indemnités de licenciement versées à un salarié dont la rupture a été prononcée après la cession et compte tenu du conflit existant avec l’employeur avant la cession de la société, ne peuvent caractériser un passif antérieur à la cession. Le passif sera supporté par l'acquéreur, même si le licenciement fait suite à un « litige en germe » antérieur à la cession de la société.

C’est en ce sens que la Cour de cassation est intervenue dans une décision du 2 Décembre 2020 (N°18/.11336), en rappelant le raisonnement qu’elle applique aux licenciements postérieurs à une cession d’entreprise.

Dans cette affaire, deux mois après la cession d’une société et ses filiales, un salarié de la holding est licencié après que le médecin du travail l’eut déclaré définitivement inapte à exercer tout poste dans l’entreprise. La Cour d’Appel saisie annule le licenciement au motif que l’inaptitude du salarié découlerait directement du harcèlement moral dont il aurait été victime sur son lieu de travail. 

La société, cessionnaire, est alors condamnée à lui versée une somme conséquente et décide de mettre en jeu la garantie de passif. Considérant que les faits de harcèlement étaient antérieurs à la cession et qu’en conséquence, sa condamnation devait être couverte par le cédant, elle réclame remboursement des 65.000€ versés au salarié.

Le cédant s’était porté garant dans les termes suivants : 

« dans le cas où un passif non comptabilisé ou un passif quelconque par rapport à celui porté dans les comptes de référence, mais ayant une cause ou une origine antérieure, viendrait à se révéler, l'acquéreur pourra demander au garant, à titre de réduction de prix, le reversement d'une somme égale au supplément de passif en question […]. Une insuffisance ne donnera lieu à reversement que si elle a des conséquences négatives effectives pour les sociétés et qu'il (sic) provient d'un fait ou d'un événement dont l'origine est antérieure à la date de réalisation […]. La responsabilité du garant à raison des garanties qui précèdent ne pourra être mise en cause que pour des faits antérieurs à la cession ».

Face au refus du cédant de mettre en œuvre la GAP convenue lors de la cession, l’acquéreur assigne ce dernier en remboursement des sommes qu’il estime avoir indûment payées au titre de cette garantie. 

Or, la Cour, reprenant un raisonnement déjà appliqué dans d’autres décisions, a considéré que le fait générateur des indemnités dues au salarié était le licenciement ; peu importe qu’il soit le résultat de faits antérieurs à la cession.

Dans le cas d’espèce, elle a considéré que l’entreprise qui avait procédé au licenciement connaissait parfaitement le contexte au moment de la cession et faisant partie d’un groupe employeur plusieurs milliers de personnes, la société aurait pu tenter de reclasser le salarié. 

Le passif généré résultait du licenciement lui-même, donc de la décision du nouvel employeur, et non pas directement des faits de harcèlement moral dont il avait été victime antérieurement.

La garantie de passif est bien souvent complexe à appliquer et nécessite une procédure judiciaire aléatoire et coûteuse.

Il convient de rappeler une nouvelle fois la nécessité dans les opérations de reprises d’auditer préalablement la situation de l’entreprise dont l’acquisition est projetée et les différents sujets qui peuvent générer des conflits aux fins d’anticiper au maximum.

 

Alexandra SIX

Avocat droit des affaires

 


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