24 avril 2025
Lorsqu’un dirigeant souhaite financer la création d’une société ou le développement d’une activité, il est fréquent qu’il contracte un prêt bancaire à usage professionnel. Afin de sécuriser ce financement, les établissements bancaires exigent souvent des garanties obligeant le dirigeant caution à se porter caution solidaire. Un engagement qui est nettement plus lourd qu’une caution simple puisqu’il ne lui permet pas d’opposer ni le bénéfice de division ni celui de discussion.
En effet, le bénéfice de discussion permet à la caution de n’être sollicitée par la banque que si celle-ci s’est déjà retournée contre la société. Le bénéfice de division, quant à lui, permet à la caution, si la dette est cautionnée par plusieurs personnes, de n’être appelée en paiement que dans la limite de son engagement.
En revanche, en cas de caution solidaire, la banque pourra se tourner vers la caution sans qu’il soit nécessaire qu’elle engage, au préalable, des poursuites contre la société. Ainsi, dès le premier incident de paiement, la caution solidaire peut être contrainte d’honorer la dette.
Les garanties peuvent donc être assurées soit par des cautions personnes physiques, soit par des cautions personnes morales.
La caution personne physique se traduit par l’engagement du dirigeant de la société, en qualité de caution, afin de garantir les dettes de sa société. On parle alors de caution personnelle du dirigeant en raison de l’engagement personnel de son patrimoine. En raison de l’engagement de son patrimoine personnel, le traitement du dirigeant caution revêt une importance particulière.
Qu’en est-il du traitement de la caution du dirigeant dans le cadre d’une procédure collective de sa société (sauvegarde ou redressement judiciaire) ? Existe-t-il un traitement différent entre la caution concédée par une personne physique ou par une personne morale ?
Rappelons préalablement que dans le cadre de la procédure préventive dite de conciliation, la caution, qu’elle soit personne physique ou personne morale bénéficie du même régime juridique de protection de sorte qu'elle peut se prévaloir des délais de grâce et de remise de dette accordée dans le cadre de l'accord de conciliation homologué ou constaté (Ccom art L 611-10-2, al1er), qu'elle pourra opposer à l'encontre du créancier de l'obligation principale garantie.
En cas d'échec ou de caducité de la conciliation ouvrant droit à l'ouverture d'une procédure collective, le créancier de l'obligation principale garantie recouvre ses droits à l'encontre de la caution mais dans la limite du régime juridique fixé par le traitement de la caution par le droit des procédures collectives.
I – Le sort de la caution personne physique dans le cadre d’une procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire :
En premier lieu, il convient de s'intéresser au sort de la caution personne physique dont la protection a été étendue s’inscrivant ainsi dans la continuité d’une volonté de préserver les droits des cautions.
C’est la loi dite « de sauvegarde des entreprise » en date du 26 juillet 2005 qui a instauré un cadre protecteur des cautions dans le cadre des procédures collectives et en particulier en procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire afin d’encourager les dirigeants à solliciter l’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde ou redressement) le plus tôt possible.
1. La suspension des poursuites :
S’agissant de la procédure de sauvegarde, l’article L.622-28 du Code de commerce précise que la caution personne physique bénéficie de la suspension des poursuites dès l’ouverture de la période d’observation jusqu’au jugement de clôture de la procédure. En d’autres termes, à compter du jour du jugement d’ouverture de la procédure, le dirigeant caution ne pourra pas être poursuivi par les créanciers de sa société concernant les dettes pour lesquelles il s’est porté caution.
L’article L.631-14 du Code de commerce applicable à la procédure de redressement judiciaire opère un renvoi aux dispositions de l’article L.622-28 du Code de commerce ce qui signifie que la caution peut également bénéficier de la suspension des poursuites durant la même période.
Pour autant, les créanciers ne sont pas totalement dépourvus d’action. L’article L.22-28 du Code du commerce dispose que « les créanciers bénéficiaires de ces garanties peuvent prendre des mesures conservatoires » aussi bien en période d'observation que pendant l'exécution du plan de redressement ou de sauvegarde. La Cour de cassation a notamment retenu qu’en cas de suspension des poursuites lors de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, le créancier peut prendre des mesures conservatoires sur les biens de la caution afin d’obtenir un titre exécutoire dans un délai d’un mois.
Cette faculté réservée au créancier s'explique de sorte à éviter que la caution n'organise son insolvabilité à compter du jugement d'ouverture de la procédure.
2. L’arrêt du cours des intérêts et de la suspension de l'anatocisme :
Le premier alinéa de l’article L.622-28 du Code de commerce précise également que la caution personne physique peut se prévaloir de l’arrêt du cours des intérêts dont le régime a été étendu à la procédure de redressement judiciaire.
En effet, antérieurement à l’ordonnance du 15 septembre 2021 , seule la procédure de sauvegarde permettait au dirigeant caution de se prévaloir de l’arrêt du cours des intérêts pendant la période d’observation. Désormais, la caution peut se prévaloir de l’arrêt des intérêts légaux, conventionnels, des intérêts de retard mais également des majorations.
3. L’inopposabilité des créances non régulièrement déclarées :
L’inopposabilité des créances non régulièrement déclarées pendant l’exécution du plan de sauvegarde ou après son exécution à condition que les engagements prévus soient tenus par la société a aussi été étendue à la procédure de redressement judiciaire.
En principe, pour que le créancier bénéficiaire du cautionnement conserve son droit d’agir contre la caution, il est tenu de déclarer sa créance au passif de la procédure collective dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture. Au regard des articles 2241 et 2246 du code civil cette déclaration a pour effet d’interrompre la prescription à l’égard de la caution et ce jusqu’à la clôture de la procédure collective.
Par ailleurs, la Cour de cassation est venue préciser la durée de l’interruption dans le cadre d’un redressement judiciaire. Elle retient que l’interruption prend effet pour la caution « jusqu’au constat de l’achèvement du plan, ou en cas de résolution de celui-ci et d’ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur principal, jusqu’à la clôture de cette procédure » et ce, même si le créancier a la possibilité de poursuivre la caution pendant la procédure de liquidation judiciaire.
4. Sur les mesures du plan de sauvegarde et de redressement judiciaire
En vertu de l'article L626- 11 du code de commerce, les cautions personnes physiques peuvent se prévaloir des dispositions arrêtées aux termes du plan de sauvegarde et du plan de redressement.
Dès lors si un créancier peut assigner la caution pour obtenir contrer d'un titre exécutoire couvrant la totalité de sa créance au regard de la présente disposition l'exécution forcée de ce titre et les mesures de poursuite individuelle consécutive ne pourront jamais être mises en œuvre tant que le plan de sauvegarde ou de redressement est respecté par la société.
II- Le sort de la caution personne morale dans le cadre de la procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire :
1- Suspension des poursuites, arrêt du court des intérêts et inopposabilité des créances non régulièrement déclarées :
L’article L.622-28 du code de commerce exclut les cautions personnes morales. Elles ne peuvent donc pas se prévaloir de la suspension des poursuites ou de l’arrêt du cours des intérêts. Ainsi, elles pourront être poursuivies dès l’ouverture de la période d’observation.
Par ailleurs, la Cour de cassation a pu pleinement appliquer ses dispositions dans le cadre d’une procédure de sauvegarde. Elle a admis que même si le jugement d’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement ne rend pas exigible les créances échues à la date de son prononcé, dès qu’une partie de la dette est exigible, il n’y a pas lieu de neutraliser le cautionnement lorsqu’il a été consenti par une personne morale puisqu’elle ne bénéficie pas de la suspension des poursuites/
Autrement dit, la caution personne morale sera tenue de payer la partie exigible de la dette cautionnée conformément à son engagement et ce jusqu’à son extinction .
Il en va de même concernant l’inopposabilité des créances non régulièrement déclarées prévus à l’article L.622-26 du Code de commerce, les cautions personnes morales en sont exclues.
2- Sur les mesures du plan de sauvegarde et de redressement judiciaire
Si les cautions personnes physiques ont vu leur régime de protection être largement renforcé, les cautions personnes morales demeurent soumises à un régime beaucoup plus limité.
L’article 626-11 du Code de commerce issue de l’ordonnance du 15 septembre 2021 précise que : « A l'exception des personnes morales, les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent s'en prévaloir. «
Les cautions personnes morales ne peuvent pas se prévaloir des dispositions du plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire par exemple des délais ou des remises consenties dans le plan.
III- Le sort des cautions personnes physiques et personnes morales en liquidation judiciaire :
Par principe la liquidation judiciaire emporte la déchéance des termes des créances principales et les garanties de ces dernières deviennent immédiatement exigibles.
Le déséquilibre de traitement entre caution personne physique ou morale disparaît en cas de liquidation judiciaire puisque les cautions personnes physiques et morales ne bénéficient pas des moyens de défense évoqués précédemment.
La caution personne morale ou personne physique peut donc être librement poursuivie par les créanciers suivant les conditions de droit commun et notamment lorsque la créance est exigible.
Par principe, la déchéance du terme ne s'applique pas à la caution qui peut se prévaloir des termes initiaux de sa garantie.
La Cour d’Appel de Douai, dans un arrêt en date du 19 novembre 2020 , s’est prononcée en faveur de la caution à propos de la déchéance du terme.
En s’appuyant sur l’article L.643-1 du Code de commerce dans sa version antérieure à la loi du 14 février 2022 qui dispose que : « Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire rend exigibles les créances non échues », elle en a déduit qu’on ne pouvait opposer à la caution la déchéance du terme que si, et seulement si, une clause dans le contrat de cautionnement le prévoit expressément.
A défaut, cette déchéance ne peut être opposée à la caution qui demeure tenu uniquement par son propre engagement contractuel.
De plus, si la déchéance n’est pas opposable, la cour a précisé que le créancier ne pouvait poursuivre la caution qu’à compter de la clôture de la procédure collective.
Par ailleurs, la disparition de la société par l’effet de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actifs n’éteint pas les dettes impayées. La caution pourra toujours être engagée par le créancier une fois le jugement de liquidation rendu.
Pour autant, la caution n’est pas démunie de protection contre les créanciers, elle peut notamment se prévaloir du caractère disproportionné de son engagement.
Mais la caution peut-elle opposer les exceptions inhérentes à la dette principale ?
En procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire, la caution n’a pas d’intérêt à opposer des exceptions dans la mesure où elle peut se prévaloir de l’arrêt des poursuites.
Toutefois, en liquidation judiciaire, que reste-il à la caution pour se défendre, peut-elle opposer les exceptions inhérentes à la dette ?
Par un arrêt rendu en date du 24 janvier 2024, la chambre commerciale considère : « la décision irrévocable d’admission d’une créance au passif du débiteur principal interdit à la caution d’invoquer les exceptions inhérentes à la dette » .
Elle retient le principe selon lequel l’admission définitive d’une créance au passif du débiteur interdit à la caution de se prévaloir des exceptions inhérentes à la dette. Cela se justifie par l’autorité de chose jugée de l’ordonnance admettant la créance. De ce fait, la créance est purgée de toutes exceptions, qui ne peuvent donc être opposées par la caution.
Il reste à la caution la possibilité de contester la décision d’admission de créance dans un délai d’un mois à compter de la signification pour les cautions personnes physiques et à compter de la publication pour les cautions personnes morales.
En conclusion
Le principe du cautionnement subsiste nonobstant la procédure collective mais le créancier bénéficiaire du cautionnement doit scrupuleusement respecter certaines règles spécifiques pour agir contre la caution sous peine de perdre son droit d'agir contre la caution.
La caution personne physique bénéficie d’un traitement favorisé au regard de la caution personne morale.
En particulier seules les cautions personnes physiques sont protégées en sauvegarde et en redressement judiciaire leurs sorts ayant été alignés depuis l'Ordonnance numéro 2021-1192 du 15 septembre 2021 dans ces deux procédures.
La caution personne physique détient une protection renforcée depuis la réforme de 2021 et peut se prévaloir de l'ensemble des dispositions prévues au plan de redressement ou de sauvegarde.
Le traitement de la caution personne physique ou morale dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire est égal.
Les récentes décisions de la Cour de cassation semblent rendre des décisions favorables aux cautions, leur offrant des moyens de défense efficaces : Pourvu que cette tendance puisse se confirmer.
Arnaud BOIX
Avocat Associé droit des affaires