Le Bail Commercial sous l’emprise des Procédures Collectives : un régime juridique spécifique

25 avril 2023

Le Bail Commercial sous l’emprise des Procédures Collectives : un régime juridique spécifique qui s’explique… mais au détriment du bailleur.

Le droit au bail est bien souvent le seul actif valorisable du preneur à bail commercial en cours de procédure collective susceptible de désintéresser ses créanciers.

Il est non seulement le gage des créanciers du preneur mais encore le support indispensable de la poursuite de l’activité du preneur.

C’est la raison pour laquelle le bailleur d’un local loué aux termes d’un bail commercial subit dans les procédures collectives susceptibles de s’ouvrir au profit de son preneur un régime dérogatoire qui lui est moins favorable que celui des autres créanciers de son preneur.

Les règles régissant le sort du bail commercial en cas de procédure collective sont issues de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (Loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005) qui consacre un régime spécifique au sort du bail des immeubles affectés à l’activité du preneur plus protecteur que celui applicable aux autres contrats en cours.

I- Les principaux organes de la procédure influençant le sort du bail commercial en cas de procédure collective.

Selon la procédure collective, le jugement du tribunal qui ouvre la procédure collective désigne les principaux acteurs suivants :

Le mandataire judiciaire, qui a le pouvoir exclusif d'agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers auprès duquel les déclarations de créances de loyers et autres accessoires impayés antérieurs à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective sont réalisées.

L'administrateur judiciaire dont la désignation n’est obligatoire qu’au-delà des seuils suivants : un chiffre d'affaires hors taxes supérieur à 3 millions d'euros et un effectif d’au moins 20 salariés) lequel a une mission à « géométrie variable », chargé d'assister, de représenter ou de remplacer le dirigeant, en fonction de la situation de la société débitrice, selon la décision du tribunal.

Le liquidateur judiciaire, qui est nommé dans l’hypothèse où la situation de la société est irrémédiablement compromise à l’ouverture de la procédure ou encours en cas de conversion, seul habilité à représenter le débiteur. 

L’administrateur comme le liquidateur judiciaire assume la responsabilité de la poursuite du bail commercial s’ils l’exigent des chefs de loyers postérieurs au jugement d’ouverture impayés, de restitution tardive ou de dégradations des locaux commises sous leur gestion. 

Le juge-commissaire assure quant à lui le bon déroulement de la procédure et la protection des intérêts en jeu. Il est un organe pivot de la procédure notamment en ce qui a trait à l'admission ou au rejet des créances, l'examen des requêtes en relevé de forclusion, la désignation des contrôleurs, la poursuite des contrats, en ce compris le bail des locaux, en cours de procédure pour les besoins de cette dernière.

II- Le paiement des loyers en cas d’ouverture d’une procédure collective

En vertu du principe de la suspension des poursuites, lorsque la procédure collective du preneur est ouverte, il est interdit au bailleur de :

1. Demander le paiement des loyers et autres accessoires dus avant la date du jugement d'ouverture de la procédure collective. Le paiement effectué par l'administrateur d'une créance née avant le jugement d'ouverture est nul ;

2. Demander ou de poursuivre la résiliation du bail pour les loyers et autres accessoires dus avant cette date. 

Cette interdiction absolue a trois conséquences : 

- les actions judiciaires en cours au moment de l'ouverture de la procédure collective et liées au paiement de loyers et autres accessoires dus avant la date de l’ouverture de la procédure collective sont interrompues jusqu'à la déclaration des créances. Elles sont ensuite reprises automatiquement dans le seul but de constater les créances et de fixer leur montant. 

- une décision prononçant la résiliation du bail avant l'ouverture de la procédure collective n'a d'effet que si elle a acquis l'autorité de la chose jugée avant cette date, si elle ne peut plus faire l'objet d'un recours suspensif.

- Toutes les mesures d’exécution engagées sont interrompues à l’exception de celles ayant produit leur effet attributif avant la date du jugement d’ouverture.  

Le bailleur conserve la possibilité de demander la résiliation du bail à tout moment, pour des raisons antérieures ou postérieures à la procédure collective, si ces raisons ne sont pas liées à un défaut de paiement des loyers et charges dus.

III- La résiliation du bail par les organes de la procédure collective

Par principe, la procédure collective engagée contre un locataire commercial ne conduit pas automatiquement à la résiliation de plein droit du bail, toute clause du bail contraire étant considérée de par le statut des baux commerciaux comme non écrite.

Ce principe supporte toutefois deux exceptions : 

- L'administrateur ou le liquidateur a la possibilité de résilier le bail à tout moment pendant la procédure collective, même si le bail comporte une durée ferme, sans préjudice toutefois de dommages et intérêts pour le bailleur lesquels doivent être déclarés au passif dans le délai d’un mois à compter de la notification de la décision sans garantie cependant que ses créances seront recouvrées ;

C’est une déclaration chiffrée et non provisionnelle qu’il est conseillé de faire au bailleur puisqu’il est toujours possible de la diminuer mais non de l’augmenter en cours de procédure.

- le bailleur peut mettre en demeure le preneur, l'administrateur ou le liquidateur judiciaire selon la nature de la procédure de se prononcer sur la poursuite du bail. 

Toutefois, l’absence de réponse à cette mise en demeure, passé le mois de sa réception n’entraine pas la résiliation de plein droit du bail. 

Ainsi, la situation du bailleur est différente de celle des autres créanciers du preneur ayant des contrats en cours, lesquels sont quant à eux résiliés automatiquement en cas de non-réponse dans le délai d'un mois après une mise en demeure de se prononcer sur la poursuite du contrat.

 

IV- La résiliation du bail en court de procédure collective à l’initiative du bailleur

Rappelons que le principe de suspension des poursuites empêche le bailleur de demander ou de poursuivre la résiliation du bail pour les sommes dues avant l'ouverture de la procédure collective. 

Néanmoins, le bailleur peut demander la résiliation judiciaire du bail pour défaut de paiement des loyers postérieurs à la procédure collective trois mois après la date du jugement d'ouverture de la procédure collective.

Les loyers postérieurs s’entendent des loyers correspondants à une période d’occupation postérieure à la date du jugement d’ouverture de la procédure des locaux.

L’ouverture d’une procédure collective ne remet pas en cause l’obligation pour le preneur de respecter ses obligations de payer son loyer et ses charges en court de procédure collective.

Dans cette hypothèse, la résiliation du bail pour défaut de paiement postérieur à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective n'est pas automatique et le bailleur doit signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail ou engager une procédure de résiliation judiciaire du bail conformément aux règles de droit commun. 

Précisons que le commandement de payer peut-être adressé par le bailleur au preneur à l’intérieur du délai de trois mois afin de gagner du temps.

La procédure est engagée de préférence par devant le juge commissaire et par voie de requête, rien n’empêchant toutefois le bailleur de recourir à la procédure de droit commun et de saisir le Président du Tribunal Judiciaire statuant en référé.

La saisine du Président du Tribunal Judiciaire ne supporte pas le délai de trois mois sus dit mais ouvre droit à la juridiction à d’autres prérogatives comme d’accorder des délais de paiement au preneur suspendant les effets de la clause résolutoire.

Le juge commissaire ne peut plus depuis peu accorder de délai de grâce au preneur qui en solliciterait.

Le preneur aura toutefois la faculté de contester le commandement de payer délivré par une action judiciaire en opposition.

La demande de délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire au Président du Tribunal Judiciaire peut intervenir tant que la résiliation du bail commercial n'a pas été constatée par une décision de justice passée en force de chose jugée.

Rappelons que le bailleur peut arguer de causes antérieures à la date du jugement d ‘ouverture de la procédure collective pour autant qu’elles ne soient pas liées au paiement du loyer (pour défaut d’exploitation et d’assurance notamment….).

V- La restitution des locaux au bailleur par les organes de la procédure 

Lorsque l'administrateur ou le mandataire liquidateur décide de ne pas poursuivre le contrat de bail, la résiliation prend effet dès que le bailleur en est informé. 

Dans une telle situation, le bailleur doit agir avec diligence et mettre en demeure l'administrateur ou le liquidateur par lettre recommandée avec accusé de réception de restituer les locaux loués immédiatement après la résiliation du bail. 

À défaut de restitution, ils pourraient être tenus de verser une indemnité d'occupation et leur responsabilité personnelle pourrait être engagée.

En l'absence de respect de cette obligation, l'administrateur ou le liquidateur peuvent être condamnés à verser des indemnités d'occupation au bailleur, nonobstant toute responsabilité en cas de dégradations survenues dans les locaux loués pendant leur garde.

VI- Les créances à déclarer par le bailleur au passif du preneur

Le bailleur a deux mois à compter de la date de publication du jugement d'ouverture de la procédure collective au BODACC pour effectuer sa déclaration de créances auprès du mandataire.

Après ce délai, elle sera déclarée irrecevable par le mandataire judiciaire sauf à saisir le juge commissaire d'une requête en relevé de forclusion dans un délai de six mois suivant la date de publication du jugement d'ouverture au BODACC en arguant que leur défaillance n'est pas de leur fait ou qu'elle est due à une omission volontaire du débiteur lors de l'établissement de la liste des créanciers.

Le bailleur qui ne déclare pas ses créances dans les délais impartis ne pourra pas participer aux répartitions et aux dividendes.

Pour le bailleur, il est nécessaire de déclarer les créances suivantes : 

- les créances nées avant l'ouverture de la procédure collective, y compris les loyers et les charges impayés avant cette date, la date de naissance de la créance à prendre en compte est la date de la jouissance des lieux loué ;  

- les créances de dommages et intérêts résultant d'une violation du bail antérieure à la date d'ouverture de la procédure, de réparations locatives et de travaux de remise en état postérieurs à la résiliation du bail, dont la date de naissance est déterminée par la date des dommages ou du défaut d'entretien ;

- les créances contestées faisant l'objet d'une procédure contentieuse, même si elles ne sont pas établies par un titre ; 

- le dépôt de garantie,

- Les créances postérieures à la résiliation du bail, telles que l'indemnité d'occupation, de résiliation du bail et les créances de réparations locatives à déclarer dans les deux mois à compter de leur exigibilité.

VII- La compensation des créances de loyer et de restitution du dépôt de garantie 

L'arrêt des poursuites ne s'oppose pas à la compensation de créances connexes et le dépôt de garantie ainsi que les créances de loyers en sont à condition toutefois que les créances soient exigibles. 

Or, seule la résiliation du bail rend la créance de remboursement du dépôt de garantie exigible.

La jurisprudence a d’ailleurs exclu l’application du principe d’une compensation des créances réciproques du bailleur et du preneur en cours de bail.

Elle est également exclue en cas de cession de bail laquelle n’emporte pas résiliation du bail cédé.

L’imputation de la compensation entre les créances de loyer antérieures ou postérieures au jugement d’ouverture  et celles du dépôt de garantie touchera par priorité les créances postérieures immédiatement exigibles. 

La créance de restitution du dépôt de garantie compte tenu du critère d’exigibilité retenu s’impute par priorité aux créances postérieures.

Le bailleur a donc tout intérêt à inclure une clause expresse dans le bail en faveur d'une compensation avec les créances nées avant le jugement d'ouverture qui sont le moins susceptibles d’être recouvrées à court terme.

VIII- La cession du fonds de commerce ou du droit de bail en cas de procédure collective du preneur

Le bail commercial peut être cédé à tout moment en cours de procédure collective soit dans le cadre d’une cession totale ou partielle de l’entreprise du preneur, soit de manière isolée : 

- En cas de cession isolée du droit de bail (vente aux enchères ou vente de gré à gré), exclusive d’un plan de cession, les clauses du bail (droit de préférence, agrément du bailleur, droit de préemption des communes) s’appliquent aux organes de la procédure sauf celles imposant au preneur une solidarité avec le cessionnaire du bail.

 

En revancne, le bailleur peut toujours se prévaloir clause de solidarité du cessionnaire avec le cédant.

- En cas de cession du fonds de commerce emportant le droit au bail, à l’instar d’un plan de cession d’entreprise, les clauses du bail relatives à la cession (accord du bailleur, la forme authentique de l’acte, la clause de solidarité, le droit de préemption des communes) ne sont pas applicables en raison de la réglementation des procédures collectives.

Le bailleur est moins bien traité en cas de cession de l’entreprise du preneur en procédure collective.

Conclusion : 

Le bailleur est le créancier parmi les créanciers d’un preneur en procédure collective le plus exposé aux risques du bail sous l’emprise du droit des procédures collectives.

S’il dispose d'un privilège sur les deux dernières années de loyer antérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective, s'il déclare sa créance, comme dans l’hypothèse où le bail est résilié, sur l'année en cours et sur les dommages et intérêts accordés par les tribunaux en lien avec l'exécution du bail, il doit faire face à la concurrence d'autres créanciers prioritaires et aux difficultés financières de la société débitrice.

Pour se protéger contre les risques d'insolvabilité des locataires, il est recommandé de réfléchir aux garanties lors de la signature du bail.

Ses facultés de poursuivre la résiliation du bail sont très encadrées et nécessitent rapidité d’exécution et une certaine dextérité juridique et judiciaire. 

Le dépôt de garantie est une garantie incontournable, mais insuffisante, pour le couvrir des enjeux financiers liés au preneur en procédure collective. 

Le bailleur doit dès lors se prémunir d’un bail aux clauses protectrices bien réfléchies dans le respect de l’équilibre des droits et obligations des parties mais également de garanties complémentaires au dépôt de garanties solides, rédigées valablement de type caution et garantie à première demande.

Arnaud BOIX

Avocat Associé


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