Révocation d’un dirigeant : un pacte peut-il déroger aux statuts et peut-il être suspendu ?

06 janvier 2023

Principes de révocation du dirigeant 

La révocation figure parmi les causes de cessation des fonctions du président d’une SAS, au même titre que la démission et le terme de son contrat. En principe, la révocation du dirigeant est libre mais les dispositions statutaires ou contenues dans un pacte d’associés peuvent prévoir des restrictions.

-Sur la révocation ad nutum (sans justes motifs) : 

Dès lors, le principe est que le dirigeant peut être révoqué sans préavis, sans motifs et sans indemnité. Encore faut-il qu’il ait été informé des motifs pour que le contradictoire puisse être respecté et que cette révocation ne soit pas vexatoire ou injurieuse. Seules les circonstances peuvent rendre abusives la révocation du président, de sorte que les motifs invoqués à l’appui de cette révocation ne peuvent être remis en cause mais les circonstances peuvent donner lieu à des dommages intérêts si les conditions dans lesquelles elle est intervenue est considérée comme vexatoires (Notamment. CA Chambéry 8.02.2022 ou CA Reims 14.06.2022 cité supra)

-Sur la liberté statutaire : 

Dans la mesure où la liberté statutaire prédomine, les statuts peuvent prévoir la nécessité d’un juste motif pour la révocation d’un dirigeant de SAS. Dans ces conditions, ils doivent mentionner les motifs justifiant la révocation décidée en assemblée ; comme par exemple : la violation des statuts ou l’exercice d’une activité concurrente de celle de la société.

Les statuts, conformément aux articles L 227-1 et L 227-5 du Code de commerce,  doivent en prévoir les contours tant en ce qui concerne les motifs de cette mesure que ses modalités de mise en œuvre.

Ont ainsi été considérées comme une révocation pour juste motif conforme aux dispositions statutaires : une faute commise par le Président (Cour d’appel de Paris, 17 septembre 2013), ou une perte de confiance des associés de nature à compromettre l’intérêt social (Chambre commerciale de la C. Cass, 14 novembre 2018).

1-La question s’est posée de savoir si les modalités de révocation prévues dans un pacte d’actionnaires devaient s’appliquer dès lors qu’elles étaient contraires aux statuts.

Dans une Décision de la Cour de cassation du 12/10/2022 n°21-15.382, Z c/ Euromédicom , la Cour rappelle que les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts mais ne peuvent y déroger.

En l’espèce, une personne physique a été nommée directeur général d’une SAS le 13 mai 2011 par décision de son associé unique. Il a été révoqué par ce même associé le 17 décembre 2014. Le dirigeant a assigné l’associé pour révocation sans juste motif.

D’un côté les statuts prévoyaient que le dirigeant pouvait être révoqué ad nutum, c’est-à-dire à tout moment sans juste motif nécessaire et que cette révocation ne donnait pas droit à indemnisation. Alors que l’acte extra-statutaire le désignant affirmait qu’en cas de révocation sans juste motif, une indemnité forfaitaire égale à six mois de sa rémunération brute fixe était prévue.

La Cour d’appel de Paris, le 18 février 2021 (CA Paris, 5-9, 18 février 2021, n° 20-00654), le déboute de sa demande.

La Cour de cassation confirme et rejette le pourvoi au visa des articles L. 227-1 et L. 227-5 du Code de commerce. Aux termes de son arrêt du 12 octobre 2022, la Chambre commerciale rappelle le sens de ces articles selon lesquels les statuts de la SAS fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général. Ainsi, si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger.

Cette décision confirme une décision du 25 janvier 2017 dans laquelle les juges n’excluaient pas le recours à des actes extra-statutaires mais précisaient que ces derniers ne pouvaient pas se substituer aux statuts mais bien les compléter.

Cet arrêt laisse tout de même certaines interrogations en suspens.

Faut-il donc considérer que toute stipulation statutaire, même étrangère à ce domaine réservé, ne peut être écartée ou contredite par un acte extra-statutaire ?

 

Rappelons que dans une jurisprudence rendue au visa des articles 1134 ancien du Code civil et L. 235-1 du Code de commerce, s’agissant d’une SARL, la Cour avait jugé que « les associés d'une société à responsabilité limitée peuvent déroger à une clause des statuts et s'en affranchir par l'établissement d’actes postérieurs, valables dès lors que tous les associés y consentent » (Com. 12 mai 2015, n° 14-13.744).

Cet arrêt est-il uniquement valable pour les SAS ? 

2-La question s’est également posée de savoir si un dirigeant de SARL peut être suspendu dans l’attente de la décision à intervenir sur sa révocation.

Dans une Décision récente,  de la Cour d’appel de Reims du 14/6/2022 n° 20/01366, Sté Sodiceram c/ X répond par la négative.

En l’espèce, deux gérants d'une SARL sont associés à hauteur de 90 % et 10 % de la holding qui détient la totalité du capital de cette société. Dans le but de révoquer son cogérant, l’associé majoritaire lui adresse un courrier dans lequel il lui reproche leurs divergences et annonce qu'il va proposer à l'associé unique de le révoquer avec effet immédiat. En outre, il lui notifie la suspension provisoire de son mandat avec effet immédiat. Le gérant est ensuite révoqué par décision de l'associé unique. Il agit en responsabilité contre la SARL aux moyens que sa révocation ne reposait sur aucun juste motif et qu'elle est intervenue dans des conditions abusives, brutales et vexatoires. 

La juridiction d'appel de Reims considère, le 14 juin 2022, que la révocation du gérant reposait sur de justes motifs. En effet, la société peut révoquer son gérant pour justes motifs même si ces derniers n’ont pas été indiqués préalablement et même s’il n'a pas pu s'expliquer ; si le manquement de la société à son obligation de loyauté est de nature à constituer une faute délictuelle, ce manquement ne modifie pas la justesse des motifs de la révocation. 

Elle considère toutefois que la révocation revêt un caractère brutal, abusif et vexatoire puisque la société a manqué à son obligation de loyauté ; en effet, il aurait fallu que le gérant soit convoqué à la réunion de l’organe social afin de connaître les motifs et d’être en mesure de les discuter s’il est présent.

La Cour considère surtout que la suspension des fonctions du gérant opérée par le courrier, dans l’attente de la décision à intervenir sur la révocation en assemblée générale, qui n'est prévue ni par l'article L 223-25 du Code de commerce, ni par les statuts de la société, était vexatoire.

Ces décisions illustrent une nouvelle fois l’importance de la rédaction des statuts qui sont la loi des parties. 

Alexandra SIX

Avocat

 


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