04 mai 2018
Presque quatre ans après la promulgation de la loi Pinel, la Cour de cassation s’est enfin prononcée sur les conditions d’application de l’étalement de la hausse des loyers déplafonnés (Cass. 3e civ., 9 mars 2018, no 15004, PB (avis)).
Il convient de rappeler qu’en principe et dans certaines conditions, lors du renouvellement d’un bail commercial, le montant du nouveau loyer fixé doit correspondre à la valeur locative (article L. 145-33 du code de commerce).
Le législateur, favorable à la protection des locataires, a prévu comme exception à ce principe le régime du plafonnement, venant limiter la variation du montant du loyer à la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires sous certaines conditions.
Néanmoins, en cas de modification notable des éléments de la valeur locative (caractéristiques du local loué, destination, obligations des parties, facteurs locaux de commercialité) ou lorsque par l’effet d’une tacite prolongation du bail, celui-ci excède douze ans, le régime du plafonnement ne trouve pas à s’appliquer à l’occasion de son renouvellement.
Ce déplafonnement permet de faire correspondre le nouveau loyer à la valeur locative sans tenir compte de la variation des indices.
Mais le régime prévu initialement présentait l’inconvénient d’une augmentation brutale du loyer dès le premier jour du renouvellement du bail commercial, pouvant avoir des conséquences désastreuses sur un commerce, lorsqu’il existait un écart important entre le montant du loyer renouvelé et l’ancien loyer.
Cependant, la loi du 18 juin 2014, dite loi Pinel, est venue prévoir une augmentation progressive du loyer par un étalement de cette hausse d’année en année : C’est l’instauration légale d’un plafonnement (plus exactement d’un encadrement) du déplafonnement !
Le dispositif propose aux parties à un bail commercial soumis au statut des baux commerciaux et donc à la Loi Pinel que le déplafonnement ne peut conduire pour une année, à des augmentations supérieures à 10% du loyer acquitté au cours de l’année précédente (article L. 145-34 du code de commerce), en cas de modification notable des éléments de la valeur locative, ou en cas de clause du contrat relative à la durée du bail.
Mais cette règle du « plafonnement du déplafonnement » a suscité différentes interrogations concernant ses modalités d’application. L’avis rendu par la Cour de cassation vient donc enfin nous éclairer.
Tout d’abord, se pose la question de savoir si le texte est d’ordre public ou bien si les parties peuvent y déroger ? Dans cette dernière hypothèse, en cas de désaccord entre les parties, quel juge est compétent ? Par ailleurs, comment s’effectue cet étalement de la hausse du loyer résultant de l’encadrement de la hausse du loyer liée à son déplafonnement.
Le loyer de l’année précédente à prendre en compte est-il celui de l’année précédant le renouvellement du bail ou de celui de l’année qui précède directement chaque augmentation de 10% ?
Enfin, est-il possible de moduler ce pourcentage d’une année sur l’autre et donc de prévoir une augmentation inférieure à 10% sur une année ?
La Haute Juridiction, dans un avis rendu le 9 mars 2018 par la 3ème Chambre Civile apporte des réponses à ces interrogations.
Tout d’abord, elle procède à une application stricte de l’article R. 145-23 du code de commerce et considère que le juge des loyers commerciaux, se trouvant être le président du tribunal de grande instance, n’est compétent que pour les contestations relatives au prix du bail révisé ou renouvelé.
En effet, le mécanisme de l’étalement est distinct de celui de la fixation du loyer. Ainsi, il incombe aux parties d’établir l’échéancier des loyers qui seront exigibles durant l’étalement de la hausse du loyer. En cas de désaccord des parties sur l’application de cet échéancier, le juge compétent est donc le tribunal de grande instance.
De plus, elle se prononce en faveur d’un étalement annuel non modulable par application d’un taux égal à 10% du loyer de l’année précédente, sauf lorsque la différence entre la valeur locative restant à atteindre et le loyer de cette année est inférieure à ce taux.
Autrement dit, le loyer annuel à prendre en compte n’est pas celui de l’année qui précède le renouvellement mais bien celui qui précède l’augmentation du loyer.
Concernant le taux d’étalement, il n’est pas modulable, il ne pourra pas être inférieur à 10% du loyer sauf si, en raison des augmentations annuelles successives, le montant du loyer du bail renouvelé est atteint.
Enfin, la Cour de cassation précise que l’encadrement légal du loyer déplafonné n’est pas une disposition d’ordre public. Ainsi, les parties peuvent tout à fait décider d’écarter ce dispositif de lissage.
Exemple d’application de la hausse du loyer :
- Montant du loyer applicable selon le bail échu à la date du renouvellement : 20 000 euros
- Montant du loyer du bail renouvelé : 40 000 euros
Application de l’étalement de la hausse du loyer :
Loyer exigible année n : 20 000 €
Loyer exigible année n+1 : 20 000 € + 10% de 20 000 € = 20 000 € + 2000 € = 22 000 €
Loyer exigible année n+2 : 22 000 € + 10% de 22 000 € = 22 000 € + 2 200 € = 24 200 €
Loyer exigible année n+3 : 24 200 € + 10% de 24 200 € = 24 200 € + 2 420 € = 26 620 €
Loyer exigible année n+4 : 26 620 € + 10% de 26 620 € = 26 620 € + 2 662 € = 29 282 €
Loyer exigible année n+5 : 29 282 € + 10% de 29 282 € = 29 282 € + 2 928, 2 € = 32 210, 2 €
Loyer exigible année n+6 : 32 210, 2 € + 10% de 32 210, 2 € = 32 210, 2 € + 3 221, 02 € = 35 431, 22 €
Loyer exigible année n+7 : 35 431, 22 € + 10% de 35 431, 22 € = 35 431, 22 € + 3 543, 122 € = 38 974, 342 €
Loyer exigible année n+8 : 38 974, 342 € + 2,6 % de 38 974,342 € = 40 000 €
Le montant du loyer du bail renouvelé (40 000 euros) ne sera atteint qu’au cours de la 8ème année, au cours de laquelle le taux appliqué sera inférieur à 10%.
Par cet avis, la Haute Juridiction met fin à de nombreux débats sur l’interprétation du dispositif Pinel, source de nombreux contentieux. Désormais, les modalités d’application de l’étalement de la hausse du loyer ne font plus aucun doute pour les baux conclus ou renouvelés depuis le 1er septembre 2014.
Il demeure toutefois de nombreuses autres conséquences à ce dispositif sur lesquels nous ne manquerons de vous éclairer.
Arnaud BOIX
Avocat Associé