12 juin 2019
Pour que se faire plusieurs conditions doivent être remplies. Il convient d’établir un manquement contractuel, c’est-à-dire qu’il y ait une inexécution d’une obligation contractuelle ou une exécution tardive de celle-ci. En principe pour engager la responsabilité contractuelle, il n’est pas nécessaire de prouver la faute du contractant défaillant, selon l’article 1231-1 du code civil, le simple manquement contractuel suffit.
Mais il s’agit dès lors de caractériser ce manquement contractuel. En effet, dans certains contrats, l’un des co-contractants peut être tenu d’une obligation de moyens ou d’une obligation de résultat. La différence est essentiellement probatoire. Dans le cas d’une obligation de moyens, le débiteur n’est pas tenu d’un résultat précis, c’est au créancier de prouver la faute du débiteur. Alors qu’à l’inverse, dans le cas d’une obligation de résultat la responsabilité du débiteur est présumée. En matière contractuelle, une faute représente une inexécution totale ou partielle du contrat ou une exécution tardive, elle caractérise donc le manquement contractuel, ce qui permet ensuite d’engager la responsabilité d’un co-contractant. Cependant, la gravité de la faute ne sert pas nécessairement à qualifier le manquement contractuel mais joue plutôt un rôle en matière d’exonération, plus la faute est grave plus l’exonération accordée sera élevée.
Enfin, ce manquement contractuel pouvant être caractérisé par une faute, doit être à l’origine d’un préjudice, un préjudice, parfois évalué par les juges, en termes de perte de chance.
La perte de chance est une notion établie par la jurisprudence depuis un arrêt du 18 mars 1975 de la chambre criminelle de la Cour de cassation. On peut la définir comme un préjudice futur qui est réparable, c’est-à-dire que ce n’est pas un préjudice qui découle d’un dommage certain mais elle est envisagée comme étant une perte actuelle et certaine (donc un préjudice) qui découlerait d’un élément qui aurait dû se produire. Ainsi un individu subissant une perte de chance se voit privé de la probabilité de survenance d’un évènement favorable. Cette notion de perte de chance a été intégrée au code civil à l’article 1240 qui a été modifié par l’ordonnance du 10 février 2016 qui a reformé le droit des contrats.
Tout d’abord, dans le cas d’une perte de chance, puisqu’elle est basée sur un évènement qui n’est pas survenu, mais dont on estime que la survenue aurait été favorable, il convient de quantifier son importance pour évaluer le préjudice réellement subi. Ainsi, le préjudice subi doit être certain, direct, et actuel - il peut être futur mais non hypothétique. Le préjudice doit aussi résulter d’un manquement à une obligation contractuelle.
Une décision récente de la Cour d’appel illustre l’évaluation du préjudice pour perte de chance (CA Paris 29/01/2019).
En l’espèce, un expert-comptable a indiqué par erreur à une société de revente de véhicule d’occasion qu’elle devait facturer la TVA à la marge au lieu de l’appliquer sur la totalité du prix de vente. L’entreprise a ensuite fait l’objet d’un contrôle fiscal, puis d’un redressement de TVA de plus de 500 000 euros. La société agit en responsabilité contre l’expert-comptable pour manquement à l’obligation de conseil.
L’expert-comptable est tenu d’une obligation de conseil à l’égard du client. Il y a donc en l’espèce un manquement contractuel à cette obligation de moyens (le créancier, ici la société, doit prouver la faute commise par le débiteur, ici l’expert) qui entraine un préjudice pour la société.
Ce préjudice est assimilé à une perte de chance, en effet, la société n’a pas pu récupérer auprès de ses clients le montant exact de la TVA due. Si le régime avait été plus favorable la société aurait pu éviter le préjudice qu’elle a subi.
Mais les juges considèrent que le préjudice ne peut être évalué à hauteur de l’intégralité de la TVA reversée, il doit être établi au regard de différents critères que constituent la perte de chance.
Pour rappel, sont généralement pris en compte notamment le temps séparant le dommage de l’évènement attendu (dans ce cas d’espèce, ce critère n’est pas pertinent), ou encore les démarches que la victime à mises en œuvre avant que le dommage ait lieu pour que l’évènement favorable se réalise. Pour que la perte de chance soit indemnisée, le juge étudie la probabilité que l’évènement favorable se réalise. En effet, si l’évènement favorable avait une probabilité sérieuse de survenir alors la perte de chance sera indemnisée. Le juge estime d’abord le pourcentage de chance d’apparition de l’évènement favorable et applique ensuite ce pourcentage au préjudice total estimé.
S’il apparaît que l’évènement n’avait qu’une chance incertaine de survenir, le préjudice ne sera pas indemnisé.
En l’espèce, la société a subi un redressement de TVA à hauteur de 761 690 euros en principal et intérêt, dont un rappel de droits de 523 052 euros, des intérêts de retard de 29 417 euros et pénalités de 209 211 euros. Dès lors, le jugement de première instance retient que les pénalités et les intérêts ne doivent pas être pris en compte dans le calcul du préjudice dès lors qu’ils ne font que réparer le délai dans le temps pendant lequel la société n’a pas versé la tva due. Ils évaluent la perte de chance à 50% du principal, soit 261 526 euros
Il est interjeté appel de cette décision.
La Cour d’appel confirme que la société a subi un préjudice sous forme de perte de chance puisqu’elle n’a pas pu recouvrer la TVA sur ses clients sur la période concernée par le redressement.
En revanche, pour évaluer le préjudice subi, les juges du fond n’ont ni tenu compte de la TVA éludée (s’élevant à 523 052 euros), car ils considèrent qu’elle aurait dû être supportée par la société même si l’expert-comptable n’avait pas commis d’erreur, ni des intérêts de retard, puisque la société a bénéficié d’un surplus de trésorerie en ne payant pas l’intégralité de la TVA due.
La Cour considère également que sans cette faute commise par l’expert-comptable, la société de revente de véhicule d’occasion aurait dû afficher des prix de vente plus élevés et aurait donc été moins compétitive et aurait subi une perte de chiffre d’affaires.
Elle fixe le préjudice pour perte de chance à la somme forfaitaire de 250 000 euros. Cette évaluation ne trouve aucune justification mathématique et démontre que si les critères sont relativement connus, leur évaluation est purement aléatoire
Dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 31 Mars 2016, un expert-comptable ayant indiqué à son client un taux de TVA supérieur à celui adéquat, avait été condamné à verser des dommages et intérêts correspondant à l’écart de TVA versée et celle, plus faible, qui aurait dû être appliquée aux clients.
L’indemnisation su préjudice pour perte de chance est clairement soumise à l’appréciation souveraine des juges et fixée « au petit bonheur la chance ».
Alexandra SIX