12 juin 2017
Le compte courant du dirigeant peut-il se compenser avec une condamnation pour insuffisance d’actif ?
La liquidation judiciaire peut être ouverte lorsque deux conditions cumulatives sont remplies : l’existence d’un état de cessation des paiements (c’est-à-dire l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible) et lorsque le redressement judiciaire est manifestement impossible.
Les créanciers disposant d’une créance antérieure au jugement d’ouverture doivent la déclarer dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire au BODACC.
Après avoir réalisé l’actif, le liquidateur doit partager les fonds entre les différents créanciers en respectant un ordre de priorité (créances de salaires, frais de justice, créances fiscales et sociales, créances bénéficiant de garanties et en dernier les créanciers chirographaires). Ainsi, si l’ensemble des fonds ont déjà été partagés entre les premiers créanciers, les créanciers chirographaires ne pourront pas espérer recouvrer leur créance.
Les dirigeants de sociétés disposent souvent d’un compte courant d’associé dans les comptes de leur société. En cas d’ouverture de liquidation judiciaire, ce compte courant constitue pour le dirigeant une créance à l’égard de la société et qu’il devra déclarer. A ce titre, la société, selon ses fonds disponibles lors du partage de l’actif, pourra le cas échéant lui rembourser totalement ou partiellement sa créance.
Lors de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, la responsabilité du dirigeant peut être engagée par le Mandataire judiciaire ou le Procureur de la République, notamment en cas de faute de gestion. Si la responsabilité du dirigeant est retenue, l’une des sanctions possible est la condamnation du dirigeant à contribuer à l’insuffisance d’actif, c’est-à-dire à être tenu à titre personnel de tout ou partie du passif de la société liquidée.
Les sommes payées par le dirigeant au titre de la condamnation pour les fautes de gestion commises et qui ont contribuées à l’insuffisance d’actif seront réparties entre les différents créanciers au marc le franc.
Deux conditions de fonds doivent être réunies pour que soit engagée l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif contre un dirigeant :
- Une insuffisance d’actif : en raison des fautes du dirigeant la situation des créanciers s’est aggravée et ces derniers ne seront pas intégralement payés ;
- Une faute de gestion : cette faute pourra par exemple résulter de la violation de la loi, des statuts, de la poursuite d’une exploitation déficitaire ou encore par l’emploi de moyens ruineux afin de permettre à la société dont l’actif est insuffisant de se procurer des fonds.
Lorsqu’un dirigeant a apporté des fonds à la société par le biais d’un compte courant et se retrouve condamné à contribuer à l’insuffisance d’actif, il a à la fois la qualité de créancier et de débiteur.
Dans ce cas, le principe de compensation de créances peut-il s’appliquer ?
Les règles de la compensation sont assez strictes et dépendent du moment où celles-ci doivent être appréciées :
- Si l’on se place avant le jugement d’ouverture de la liquidation, il existe trois modes de compensation : 1/ la compensation légale (en cas de créances réciproques, fongibles, liquides et exigibles avant le jugement. La compensation s’effectue de plein droit, même en l’absence de connexité) ; 2/ la compensation judiciaire (le juge peut ordonner la compensation entre les sommes auxquelles sont condamnées les parties, selon l’article 1348 du Code civil) ; 3/ la compensation conventionnelle (acceptée par les parties, même si les conditions de la compensation légale ne sont pas réunies, selon l’article 1348-2 du Code civil, sous réserve qu’il s’agisse de créances connexes).
- Si l’on se place après le jugement d’ouverture : par principe la compensation est interdite, sauf créances réciproques et connexes et sous réserve que le créancier ait procéder dans les délais à la déclaration de créance.
Lorsque le dirigeant a déclaré sa créance résultant de son compte courant, et que par la suite il fait l’objet d’une condamnation en responsabilité pour insuffisance d’actif, existe-t-il un lien de connexité entre la créance et la dette permettant la compensation ?
La chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 8 mars 2017 (arrêt n° 15-24.891) est venue répondre à cette question.
La Cour de cassation a dans un premier temps réaffirmé le principe de répartition au marc le franc des sommes dues par le dirigeant au titre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Dans un second temps, elle a considéré que la compensation, entre la créance qu’il avait à l’égard de la société et ses dettes dues au titre de sa responsabilité pour insuffisance d’actif, était impossible.
Suite à la liquidation judiciaire de sa société, un dirigeant avait été condamné au titre de sa responsabilité pour insuffisance d’actif, suivant arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 10 juin 2015. Le liquidateur lui a fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière. Le dirigeant s’y est opposé en se prévalant d’une compensation entre la créance qu’il détenait à l’égard de la société et les sommes mises à sa charge au titre de l’insuffisance d’actif.
La Cour d’appel avait admis cette compensation, la Cour de cassation a censuré sa décision au visa de l’article L 651-2 alinéa 3 dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 18 décembre 2008. La Cour de cassation a considéré que compensation était impossible du fait de l’absence de lien de connexité entre la créance et la dette du débiteur.
Bien que cette décision ne soient pas totalement nouvelle (Cass com 18 mai 1981 n°79-16952 ; Cass. Com 6 mai 1997 n°94-20.855), le principe de l’absence de compensation entre la créance de compte courant du dirigeant et sa dette en cas de responsabilité pour insuffisance d’actif est réaffirmé, avec une motivation claire.
Pour l’ancien dirigeant dont la responsabilité a été retenue, l’absence de compensation est lourde de conséquences.
Les dirigeants doivent être particulièrement vigilants quant aux conditions de gestion de leur société lorsque celle-ci rencontre des difficultés économiques, notamment en ne poursuivant pas une activité qu’ils savent déficitaire, en se rappelant que le compte courant d’associé peut être un investissement en pure perte, ce qui pourrait constituer une double peine pour le dirigeant !
Alexandra SIX, avocat en droit des sociétés et des affaires
Hadrien DEBACKER, avocat en procédures collectives et des affaires