Droit des affaires : être agent commercial, ou ne pas l’être, telle est la question...

27 juin 2017

Le statut de l’agent commercial est une notion souvent fluctuante mais qui n’en est pas moins cruciale pour les sociétés mandantes. En effet, en cas de rupture du contrat ces dernières sont tenues en principe de verser une indemnité de fin de contrat à l’agent commercial. Tenant compte de cet enjeu : être inscrit au registre spécial des agents commerciaux suffit-il pour avoir ce statut ? Inversement, un prestataire qui ne prétend pas être agent commercial au début des relations contractuelles peut-il se voir attribuer cette qualité ultérieurement ?

Un récent arrêt de la Cour de cassation du 15 mars 2017 (arrêt n°15-18.434) nous invite à nous replonger dans cette notion. En l’espèce, la qualité d’agent commercial est reconnue à l’intermédiaire qui démarchait et prospectait des clients au nom et pour le compte du mandant. De plus, la pluralité des courriers démontrait que l’intermédiaire se comportait bel et bien comme un agent commercial.

Ainsi, comment la qualité d’agent commercial s’acquiert-elle et à quel moment ?
La chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 21 juin 2016 (arrêt n°14-26.938) a rappelé que le statut d’agent commercial ne dépend pas de la volonté exprimée par les parties dans un contrat ni même d’une inscription au registre spécial des agents commerciaux. La qualité d’agent commercial dépend des conditions dans lesquelles l’activité est exercée. C’est ce qu’avait déjà estimé la Cour dans un arrêt du 10 décembre 2003 (arrêt n°01-11.923).

Ainsi, le pouvoir de requalification des juges a été reconnu par la Haute Juridiction. Ce n’est pas parce qu’un agent commercial est immatriculé au registre des agents commerciaux que les juges ne pourront pas lui retirer sa qualification. De même, ce n’est pas parce qu’un intermédiaire ne revêt pas la qualité d’agent commercial qu’il ne pourra pas l’obtenir par la suite.

De plus, le législateur permet à l’agent commercial de renoncer à ce statut dans certaines situations mais aucune disposition ne lui permettra d’adhérer de son propre gré à ce statut si son activité ne correspond pas à la définition donnée par L 134-1 du Code de commerce qui définit le statut d’agent commercial comme suit : « le mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale ».

Ainsi trois conditions cumulatives sont nécessaires pour obtenir la qualité d’agent commercial :

• Exercer une profession indépendante
• Exercer une profession de manière permanente
• Disposer du pouvoir de négocier

1-L’exercice d’une profession indépendante

L’agent commercial doit exercer son activité de manière indépendante et autonome, il ne doit pas être lié au mandant par un lien de subordination. La notion d’indépendance est double : elle s’entend d‘une part, à l’égard des mandants et d’autre part, à l’égard des cocontractants de ces derniers. La jurisprudence concernant cette condition est riche.

Par exemple, la Cour de cassation a estimé le 5 janvier 1990 (n°87-10070) qu’un intermédiaire qui organisait librement son travail sans obligation d’horaire, d’itinéraire, de quota, de comptes rendus et qui travaillait pour plusieurs sociétés, pouvait être qualifié d’agent commercial.

La cour d’appel de Paris (arrêt du 26 juin 2013, JurisData n°2013-017089) est venue écarter la qualité d’agent commercial pour un intermédiaire qui bien qu’immatriculé au registre des agents commerciaux, n’était qu’un travailleur salarié placé dans un lien de subordination. Le prétendu agent commercial a ainsi été qualifié de courtier.

De même, dans un arrêt du 19 janvier 2012 (arrêt n°10-23.653), la Cour de cassation a refusé à un agent commercial la qualification de salarié au motif qu’il disposait d’une importante autonomie et qu’il n’apportait pas la preuve de l’existence d’un lien de subordination.

2- L’exercice d’une profession de manière permanente

L’agent commercial doit exercer son activité de manière permanente, c’est-à-dire à titre de profession habituelle. De ce fait, le mandat confié à l’agent doit s’inscrire dans la durée pour que l’intermédiaire puisse obtenir le statut d’agent commercial.

Ainsi, les agents commerciaux qui ne représenteraient le mandant qu’à titre occasionnel ou ponctuel risquent de perdre leur qualité d’agent commercial. Par exemple, le Tribunal de commerce de Paris dans un arrêt du 2 novembre 2004 (JurisData n°2004-259904) a estimé que l’intermédiaire ne pouvait se prévaloir du statut d’agent commercial puisqu’il ne disposait d’un mandat de négocier que d’une durée de sept mois. Ce dernier excluait par sa durée le fait de constituer une clientèle stable. Cette question est soumise à l’appréciation souveraine des juges.

Il est néanmoins utile de rappeler que la permanence de l’activité n’a pas nécessairement pour corollaire l’exercice de l’activité de manière exclusive et principale pour un mandant. En effet, concernant ces deux derniers points, la seule obligation de l’agent est de ne pas devenir l’agent d’une entreprise concurrente de celle de l’un de ses mandants et de respecter le devoir de loyauté énoncé à l’article 134-4 du Code de commerce dans son deuxième alinéa. C’est ce que la Cour de cassation dans un arrêt du 29 mars 2017 (chambre commerciale, n° 15-26.476) a par exemple rappelé : l’agent commercial représentant deux sociétés concurrentes et n’ayant pas demandé l’autorisation au premier mandant, commet une faute grave qui l’empêche à ce titre de percevoir une indemnité de fin de contrat.

3-Le pouvoir de négocier

L’agent doit pouvoir négocier des contrats au nom et pour le compte de son mandat. La cour d’appel de Lyon dans un arrêt du 8 avril 2011 (n°2011-016917) a estimé que le mandataire qui disposait du pouvoir de négocier avait la qualité d’agent commercial quand bien même il n’avait pas le pouvoir de conclure des contrats au nom du mandant.

En conclusion, les sociétés doivent être pleinement conscientes du statut de la personne en charge de leur développement commercial et de ses conséquences juridiques notamment lors d’une rupture éventuelle du contrat. En effet, si cet intervenant bénéficie du statut d’agent commercial alors l’article L 134-12 du Code de commerce s’applique en ce qu’il prévoit que : « en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi » (sous réserve que l’agent commercial n’ait pas commis de faute grave).

Ces dispositions d’ordre public s’imposent aux parties. La rupture peut s’avérer très coûteuse pour la société, les juges évaluant cette indemnité sur la base de deux années de commissions.

Les sociétés voulant recruter un intermédiaire afin de négocier ou de conclure des contrats en leur nom et pour leur compte doivent donc faire preuve de prudence.

Magalie BORGNE Avocat en droit des affaires / droit des successions


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