Un gérant condamné pour des faits postérieurs à sa démission

04 décembre 2020

Les gérants ou  dirigeants de société doivent être désignés dans les statuts dès constitution de la société, où être nommés par décision postérieure des associés, prenant acte de la cessation des fonctions du prédécesseur. Ces désignations doivent ensuite être publiées auprès du Registre du commerce et des sociétés (RCS), et être inscrites sur le Kbis de la société, dont la vocation première est de porter à la connaissance des tiers, les informations à jour concernant l’existence juridique d’une entité, et ses organes de direction.

C’est à ce moment que la nomination d’un dirigeant devient opposable aux tiers.  

En effet, l’Article L 210-9 du Code de commerce prévoit qu’à l’égard des tiers, la société ne peut se prévaloir des nominations et des cessations de fonctions des personnes chargées de gérer, administrer ou diriger la société tant qu’elles n’ont pas été régulièrement publiées au RCS. 

La jurisprudence considère plus souplement les nominations de dirigeants puisqu’elle a déjà précisé que dès la date de sa nomination, un gérant est habilité à représenter la personne morale dans tous les actes et procédures suivies à son encontre, peu important que celle-ci n’ait pas encore été publiée au RCS (Ch. Commerciale, 10 Juillet 2012).  A plus forte raison, les juges ont considéré que le défaut de publicité de désignation d’un dirigeant n’empêche pas de le soumettre aux responsabilités attachées aux fonctions qu’il a d’ores et déjà acceptées et exercées (Ch. Commerciale, 8 Juillet 2013).

La nomination peut ainsi prendre effet avant que soient réalisées les formalités légales, mais les juges se montrent plus exigeants s’agissant de la cessation de fonction. 

Dans le cas d’une SARL composée de deux associés, et gérée par la compagne de l’un d’eux, la Cour de Cassation est récemment intervenue pour confirmer sa position.

La nomination du nouveau gérant, et la cessation des fonctions de l’ancienne gérante ont été publiées 14 mois après le procès-verbal actant ces changements. Entre temps, la société a été mise en redressement et liquidation judiciaire, et le mandataire en charge de ces procédures a soulevé diverses anomalies relevant notamment de l’inexistence de la comptabilité, l’inutilisation du compte bancaire de la société, le défaut de déclaration d’embauche à l’URSSAF, et paiement des cotisations y afférents, et l’absence de référencement de la société auprès de l’administration fiscale. 

En outre, une plainte a été déposée contre l’un des associés pour non-paiement de pensions alimentaires, au motif que celui-ci organisait sa propre insolvabilité par le biais des diverses sociétés gérées par sa compagne. 

Des poursuites pénales ont été engagées contre ce dernier, et l’ancienne gérante, qui ont été condamnés respectivement à quatre et deux ans d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve pour les diverses infractions relatives au fonctionnement de la société : banqueroute, faux et usage de faux, fabrication et usage de chèque, abus de biens sociaux, travail dissimulé, et complicité d’organisation frauduleuse d’insolvabilité.

La Cour d’appel de Rennes, le 9 Janvier 2019, après avoir constaté le détournement de la quasi-totalité des paiements des chantiers de la société, sur le compte bancaire d’une société gérée par la compagne, et sur le compte de cette dernière, a confirmé les condamnations pénales.

L’ancienne gérante a soulevé pour sa défense, que les infractions ont été commises postérieurement à la cessation de ses fonctions, et qu’en conséquence aucune condamnation ne pouvait être prononcée à son encontre.

La Cour de cassation a toutefois validé l’arrêt rendu par la Cour d’appel, et débouté l’ancienne gérante aux motifs que les formalités de modification du Kbis ont été sollicitées tardivement, en fraude des droits du coassocié, et par action de concert avec son compagnon.  En effet, la cessation des fonctions n’était qu’apparente, elle avait conservé en fait et en droit ses prérogatives de gérante. 

Ainsi, le défaut de publication au RCS, et la conservation de l’exercice effectif de ses fonctions permet de considérer cette dernière comme valablement condamnée solidairement des infractions commises, même postérieurement à la cessation de ses fonctions.

Certes, en l’espèce la gérante participait toujours à la gestion en fait mais cette décision s’inscrit dans la même lignée que l’Arrêt précurseur du 9 Mars 1966 dans lequel la Chambre Criminelle avait d’ores et déjà considéré qu’un dirigeant social ne pouvait échapper à sa responsabilité pénale avec comme seul argument le fait que la décision de nomination de son successeur n’avait pas été publiée.

En conséquence, même si un gérant est habilité à intervenir pour le compte de la société dès sa nomination, et ce, même sans réalisation des formalités auprès du RCS, sa responsabilité ne cesse vis-à-vis des tiers que lorsque la modification est inscrite au Kbis. 

Le retard de publication de la cession des fonctions du gérant ne le libère donc pas intégralement de ses responsabilités.

Alexandra SIX et Eléonore CATOIRE

 


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